1-2-3 Rencontres à visée thérapeutique en pré-T.H

1-2-3-1 2ème rencontre avec Mme puis la grand-mère maternelle et Hélène, ou, « 3 générations de femmes dans un combat pour la vie »

La deuxième rencontre clinique a lieu deux semaines plus tard, lorsque Madame est réhospitalisée, suite aux résultats positifs du premier bilan. La possible transplantation par don intrafamilial se profile de manière plus nette et réelle. Quant à Hélène, elle est réhospitalisée pour un bilan de contrôle avant la transplantation et la fin de ses examens préliminaires. Hélène est mutée dans un box pour enfant et non plus dans une chambre mère-enfant. Madame séjourne dans le service adulte où elle sera accueillie en post-transplantation.

En arrivant dans le box d’Hélène, je découvre Madame en mouvements perpétuels, venue comme elle me l'explique « pour avoir les résultats de l'examen de pré transplantation qu’Hélène effectuait ce matin là ». Sa fille n'est pas présente dans la chambre.

« Le temps presse » me dit-elle. Mme est dans une hyper agitation, hyper kinesthésie. La chambre doit faire 4 m2 ; elle « court » dans tous les sens ; Mme m’annonce, tout en continuant à s’agiter, qu’elle revient d’un examen médical.

Mme: « je vais rejoindre ma fille. Ma mère s’en occupe pour son bilan. Je veux connaître les résultats ».

Elle met en scène, par ses mouvements d'allers/retours en prenant un objet et le déposant, d'une part, le travail symbolique de transplantation de donner et de recevoir, et d'autre part, le temps qui s'écoule avec sa nécessaire course contre la montre pour combattre la mort.

Cette maîtrise du temps ne renvoie-t-elle pas à sa propre temporalité et à la question si cruciale « suis-je trop vieille ? ». A cet instant, Mme est dans l’impossibilité de verbaliser autre chose qu’une agitation corporelle qui lui permet de figuraliser la course contre la montre …..contre la mort, et, au-delà, contre sa propre mort où elle se sent actrice du scénario qui est entrain de se jouer pour sa vie … espère-t-elle future ? Elle contrôle au maximum les choses pour que rien ne lui échappe ; rester coûte que coûte ; la mère qui donne à sa fille la vie, les soins ; et rester coûte que coûte pour sa propre vie, c'est-à-dire être rassurée d'une continuité de son existence.

Cette situation traumatique réactive une conflictualité psychique en la confrontant brutalement à la « métaphore prométhéenne », où vie et mort, deux entités antagonistes et complémentaires tenteraient de se greffer entre elles. Cette tentative de « greffon », nommée transplantation serait un mode d’évitement de la mort par une parade d’immortalité subjective. Cette expérience traumatisante de la probable négation provisoire de la mort, renvoie Mme face à un paradoxe insurmontable avant le don.

Cette mère est dans une suractivité, en lien avec une situation de « trauma » nécessaire pour assumer les responsabilités et dépasser l’angoisse de donner une partie de son foie. Elle n’est pas disponible mentalement pour penser, réfléchir sans se mettre en danger, danger de ne pouvoir assumer ce qui était entrain de se jouer, c'est-à-dire donner une partie de son foie.

Je lui signifiais par ma présence, la possible écoute au moment où elle pourrait élaborer. Elle verbalise ainsi cet état de fait : « j’aurais besoin d’une aide psychologique après la transplantation. ». Elle ne peut en dire plus, le médical et le chirurgical prenant le pas sur le psychique. L’impensée du corps devait rester à l’état brut. Penser, c’était penser l’impensable de la mort.

Nous convenons que nous nous rencontrerons dans un moment plus opportun, comme elle l’exprimera : « quand, je serai plus disponible pour penser ».

Mon mouvement de départ de la pièce la fige physiquement et elle m'interpelle : « avec mes deux enfants, vous vous souvenez, je vous en ai parlé la dernière fois ! »

Psy : « Oui …»

Mme : « Je voudrai prendre le temps d'en parler avant la transplantation. Ca ne va pas… C'est difficile pour eux la transplantation ».

Puis, elle s'agite à nouveau. En la réinterpellant sur cette phrase énigmatique, elle s'explique en ces termes :

« Mélissa et Caïn me posent soucis, ils sont inquiets pour la transplantation. Je n’arrive pas à comprendre leurs inquiétudes. Je ne suis pas disponible dans ma tête. Je me centre sur Hélène. C’est beaucoup d’énergie. Je ne peux pas plus … (elle s'arrête). Pourriez-vous les rencontrer ? Dans ma tête, il y a trop de choses à gérer. Nous revenons dans quelques jours, nous pourrions amener les enfants ? ».

Nous convenons d'une rencontre familiale pour les aider à élaborer cette transplantation.

La mère de madame arrive sur ces entrefaites avec Hélène. Mme se précipite vers sa mère en recherche d’une réponse : « alors, qu'est-ce qu'ils ont dit ? ». La mère répond : « L’examen s’est bien passé et ils confirment la nécessité d’une transplantation sans contre indication physiologique ». Les épaules de Mme s'affaissent, la tension et la pression tombent également. L'hyper - agitation cesse. Le corporel laisse place à un espace psychique de tentative d'élaboration.

Madame me présente, en ces termes, à sa mère: « maman, c’est la psy dont je t’ai parlé qui va rencontrer les enfants ».

Puis, à nouveau disponible, l’espace d’un instant, elle m’évoque ses difficultés avec ses enfants : « Ils se refusent à ce don, je ne comprends pas pourquoi, de toute manière rien ne me fera changer d’avis ».

La mère reste silencieuse durant tout le monologue de sa fille, elle même dépassée par le choix de celle-ci, ne pouvant exprimer ses inquiétudes sans renvoyer à sa fille sa propre place de mère, puis de grand-mère.

Ma présence était le seul cadre qui permettait à Mme la continuité d’une amorce de travail élaboratif et, progressivement, l'instauration d'une relation de confiance. Elle garantissait la possibilité d’une pensée qui devrait un jour s'élaborer pour «  son bien être psychique ». Cette difficulté d’élaboration peut être mise en lien avec le trop plein d’urgence de la transplantation, enjeu de sa propre mort.

En fin de rencontre, nous convenons verbalement de la date de la prochaine rencontre avec la famille H. (cf. annexe pour la rencontre des deux enfants, Caïn et Mélissa).