1-2-3-3 7ème rencontre avec Mme 

Suite à la rencontre équipe - famille, j’ai réitéré ma proposition d’une rencontre familiale, acceptée par la mère, le père restera silencieux, et, finalement, le lendemain elle se rendra seule, en justifiant l’absence de son mari par ses obligations professionnelles, et celles des enfants par un retour chez des amis qui les prennent en charge.

Ceci m’a interpellée sur le sens de l’impossible rencontre familiale en formulant plusieurs hypothèses de travail :

Le début de la rencontre réintroduit le travail préalable effectué avec les enfants, deux semaines plus tôt164, ce qui permet d’aborder la problématique familiale avec Mme.

Mme : « Je ne serai pas capable de voir mes enfants immédiatement après la T.H.... ».

Psy : « Que voulez-vous dire ? »

Mme : « Je…je… (Réflexion) je ne serai pas capable d'assumer leurs questions. Je ne pourrai pas dans ma tête m'occuper d'eux… J'aurai besoin de temps pour moi… Pour l'instant je ne peux pas penser… Mais après, j'aurai besoin de vous… De réfléchir à tout ça… Mais pas pour l'instant…non…je ne peux pas. De plus, c'est difficile, la date d'opération tombe le jour de mon anniversaire ».

Psy : « Oui… »

Mme : « Je vais donner un morceau de foie à ma fille le jour de ma naissance ».

Psy : « Que voulez-vous exprimer ? »

Mme : « Disons…que je n'ai pas de chance. Une opération le jour de mon anniversaire, ça a un sens ».

Psy : « Lequel ? »

Mme : « Ben…J'ai peur d'être opérée… Mais je ne dois pas y penser… Je dois penser à Hélène ».

Mme aborde seulement de manière implicite l'angoisse de mort.

Mme : « En réalité, je n'ai pas peur maintenant, mais après… Vous serez là après ? Nous pourrons en parler ? J'aurai besoin d'expliquer… Mais pas maintenant ».

Psy : « Oui ».

Mme : « Vous viendrez me voir ? »

Psy : « Oui, lorsque vous serez réveillée. Je passerai vous voir en réanimation ».

Mme : « Vous vous rendez compte, la T.H. a lieu le jour de mon anniversaire… Il n'y avait pas d'autre place au bloc. C'était le seul créneau … C'est un signe… Il me tarde que ce soit fini… C'est lourd. Maintenant, je dois y aller car j'ai un rendez-vous avec le Docteur ».

Nous terminons cette rencontre par un rendez-vous en réanimation.

Mme, avant de partir, exprime entre deux portes qu’elle sera dans l’impossibilité psychologique de communiquer avec ses enfants juste après la T.H. Elle s’enquiert de savoir si on peut informer ses enfants du bon déroulement de l’opération.

Je lui renvoie que son mari sera présent. Elle rétorque « ce ne sera pas pareil ».

Nous terminons cette rencontre par un rendez-vous en réanimation.

Conclusion de la période de pré-T.H :

Cette période est fondamentale dans le vécu ultérieur de transplantation pour le couple parental à un niveau individuel et groupal. Cette étude de cas relate la fracture d’un couple mais aussi la problématique de la parentalité. Il est vrai que nous ne parviendrons pas à atteindre le transgénérationnel ce qui aurait pu révéler les failles profondes que l’acte de T.H d’Hélène a révélées. Cependant, l’étude de l’intergénérationnel soulève déjà un certain nombre de points.

Ce désir de réparation par Mme mobilise une telle énergie psychique qu’elle interroge sur le sens qu’il cherche à produire. Mme se replie totalement sur elle-même, dans un processus de régression, malgré une verbalisation qui affirme un envahissement idéationnel centré sur Hélène. Mais ce processus de régression n’est-il pas fixé plus particulièrement sur sa problématique ?

L’importance de son image, de son vieillissement marque une brèche dans son narcissisme : « quand on m’a dit de faire cette amiosynthèse, j’ai su que le bébé était malade. »

Elle se vit comme responsable de la maladie d’Hélène malgré une tentative de retournement de la faute et de sa culpabilité sur l’équipe médicale avec qui elle entretenait une relation ambivalente chargée de rejet et de rapprochement.

Cette attitude est identique à celle que nous avons pu aussi observer dans la relation de couple, affirmant son amour puis reprochant à son mari son attitude distante. Elle agit de même avec ses enfants en leur proposant un espace de parole et en n’autorisant pas paradoxalement la circulation de celle-ci.

Nous percevons à travers ces quelques rencontres la notion de don sacrificiel autopunitif que nous avons théorisé en ce début de chapitre. Mme a besoin psychologiquement de donner dans son propre corps à son enfant sans laisser le choix à son mari.

Cette réparation devient vitale et nous percevons qu’il ne s’agit pas simplement et seulement de donner une partie de son foie. L’acte est beaucoup plus psychologique qu’il n’en paraît. Mme à travers la transplantation de sa fille se voit remobilisée dans un travail d’élaboration psychique et confrontée au « processus de psychisation » nécessaire à l’acceptation de cet acte. Malgré une réticence et une impossibilité psychique à « trop » s’ouvrir de peur de ne pouvoir ou de s’effondrer avant d’avoir pu donner, elle amorce une verbalisation de sa souffrance.

Quant à Monsieur, sa mobilisation dans la transplantation est évincée par Mme. Mais paradoxalement, il ne prendra jamais la place proposée, soit par les équipes médicales, soit par moi-même.

Projectivement, Monsieur ne s’autorise pas à prendre sa place de père. A chacune de nos interpellations son regard est dirigé vers sa femme (elle ne le regarde pas à ce moment là). Ses silences et ses regards sont plus évocateurs que ses paroles.

Monsieur parait dépassé par le positionnement de Mme face à la maladie de leur enfant. On perçoit une certaine culpabilité face à la maladie et face au fait qu’il n’est pas inclus dans la décision de sa femme et qu’il subit les événements.

Les couples présentant une relation non conflictualisée prennent la décision à deux (cf. Maeva). Nous expliquions en page 330 que «  le couple devient donneur l’un par l’autre c’est-à-dire l’un par un don réel et l’autre par délégation à son conjoint ». Mais dans le cas énoncé, nous touchons à la parentalité et au-delà aux liens de couple, donc à la place de femme et d’homme.

Ceci étant en relation directe avec le générationnel. Mme fait un don pour elle seule dans une réparation narcissique en lien avec le refus d’une incapacité à procréer, lot de toute femme, le corollaire du vieillissement. Quant à Monsieur, il subit les événements en tant que père et mari.

Notes
1.

64 Cf. annexe 5 : rencontre avec les enfants.