1-2-5-3 11ème Rencontre

Hélène arrive dans le service toute souriante, heureuse de retrouver les infirmières. Mme est nerveuse, opposante. Elle signale son retard avec un sourire entendu et ponctue son comportement par « on est pénible, je le sais. » tout en étant fort satisfaite de l’exprimer, comme une bravade héroïque face à l’autorité. Puis une reprise de contact chaleureux s’instaure entre la maman – Hélène - les infirmières vite rompue par le rappel à la réalité : la nécessité de pratiquer le bilan sanguin immédiatement, car les médecins ont besoin de résultats pour prendre une décision. La tension monte instantanément, Mme devient rejetant par rapport au milieu médical et principalement vis-à-vis des médecins, en exprimant ses griefs sur ses « médecins qui veulent tuer ma fille » et en s’adressant à moi plus particulièrement.

Après l’examen, je retrouve Madame dans la salle de jeux sans la présence d’Hélène.

(…)

Elle m’affirme : « aller beaucoup mieux » et dans le flot d’un positivisme aigu, il me semble entendre que « sa fille est chez son père » mais c’est dans l’après coup de la rencontre que je prendrai conscience de cette parole.

Elle évoque, sans questionnement de ma part, l’absence de son mari en ces termes : « comme toujours », avec une pointe d’agressivité et d’agitation verbale tout comme elle avait pu l’exprimer avant la transplantation (...) poursuivant par: « jamais là », déversant sa rancune de manière logorrhéique et évoquant un projet qui impliquerait une séparation provisoire du couple qui ne peut se réaliser. Mme explique que, pour elle « ça ne changera rien, je ferai ce que j’avais prévu (…) moi je m’en fou, c’est pour lui. Maintenant, j’ai accepté son absence, je fais ce que je veux, j’ai l’habitude. »

Et brutalement, après cette longue tirade, elle se lève et dit : « je reviens », et part.

Deux ans plus tard, Mme reprend le même contenu de la dernière rencontre où j’avais pointé la problématique du couple. Le conflit émerge jusque-là masqué par l’urgence de la transplantation. Cependant, elle fuit l’acceptation d’une problématique conjugale et met en scène son discours sur un mode hystérique.

(…) quelques minutes plus tard, elle revient.

Elle évoque à nouveau les vacances de ses enfants et le départ de sa fille et de son fils chez leur père. Comme je le signalais précédemment, je n’ai pas entendu cette remarque lors de cet échange. C’est seulement, dans l’après coup, que j’ai compris que les deux enfants n’étaient pas du même père que celui d’Hélène.

Nous reparlons de notre première rencontre où elle m’avait dit : « vous ne me jugez pas ? ».

Mme : « Ah, ne m’en parlez pas, je me suis faite avorter cet été. (…) j’ai fait vite, je ne voulais pas que mon corps se transforme. J’ai su de suite que j’étais enceinte, je l’ai fait (l'avortement) une semaine avant la limite légale. »

Hélène revient dans la pièce et interrompt, à ce moment là, l'entretien pour venir demander à sa mère d’aller faire pipi.

(…)

Puis, appelée par les infirmières, Mme part pour son rendez-vous médical.

(…)

Mme revient une heure plus tard et reprend là où elle avait interrompu son discours comme si elle avait mis en scène cette interruption de grossesse avant de pouvoir me le formaliser.

Mme : « Mon mari, je l’ai appelé pour lui dire que j’étais enceinte et que je subissais une I.V.G. le lendemain. ».

Elle précise que son mari était encore une fois en déplacement, comme toujours dans ces moments là, il n’était jamais là.

Je lui demande s’ils ont parlé de cette décision et du choix de ne pas garder cet enfant.

Mme : « non, de toute manière, il n’a pas été là pour Hélène, je n’allais pas garder un enfant, avec Hélène malade, je n’ai pas le temps. (…) Je lui ai dit que nous devions faire attention que je ne retombe pas enceinte car je ne voudrais pas subir une 3ème I.V.G. Il m’a répondu une deuxième I.V.G. mais tu n’en as jamais subi. (…) Il avait oublié… (Silence), comme toujours. »

Elle précise qu’elle a subi une I.V.G. Juste après l’annonce de la maladie d’Hélène, elle était enceinte à nouveau. A cette période, elle ne s’était pas sentie capable de garder l’enfant.

De plus, comme toujours, il n’était pas présente puisque en déplacement.

En avançant dans l’élaboration de cet échange verbal, elle précisera que son «déplacement », n’est en fait qu’un voyage « d’agrément » où il va retrouver sa mère et sa famille. « Non je ne vais pas avec lui, nous n’avons pas les mêmes façons de concevoir la vie avec ma belle-mère. »

Nous évoquons l’incident qui s’est produit ce matin par rapport au geste médical et son vécu.

Elle exprime ses difficultés à « supporter que l’on touche sa fille », qu’elle n’en peut plus de tous ces examens, que jamais elle n'aurait pensé qu'après la transplantation ce serait si long. Mme : « J’avais l’impression que c’était magique. On opérait, je donnais mon foie et ça y est tout était fini. Mais non, c’est encore pire. Avant, on se dit elle est malade, et après, on se dit elle est toujours malade et la réalité nous frappe de plein fouet. Elle est malade encore mais surtout elle sera toujours malade, on n’a rien réparé. »

Je lui renvoie son lapsus sur l’impossible réparation et qu’au-delà de ce don organique elle a donné psychiquement et qu’elle voulait réparer quelque chose.

Mais Mme fuit une fois encore et elle évoque son long chemin solitaire face à la maladie et se souvient d’avoir pris sa fille sous son bras pour la sauver de ces médecins qui ne se rendent pas compte et veulent la tuer.

Je lui pointe que son exaspération vis à vis du médical se répercute sur les infirmières et sur Hélène et qu’il faut remettre de la distance pour permettre à chacun d’effectuer son travail, même si, pour l’équipe infirmières, comme pour elle-même, il est difficile de « faire mal à cette enfant ».

Elle exprimera ses difficultés d’être entendue par les médecins qui n’en font qu’à leur tête et ne se préoccupent pas de son enfant : « on est un numéro comme les autres ».

Mme expliquera avoir vu tellement d’enfants transplantés qu’elle a observé la disparition de la maladie initiale mais la transplantation laisse à jamais perdurer le combat pour la vie de l’enfant165. Mme : « je croyais qu’en lui ayant donné mon foie tout était fini. " Vous voulez que je lui donne quoi en plus ? Je ne peux pas plus. »

Conclusion : L’intérêt de cette rencontre provient des éléments apportés par la mère. Les motifs sous-jacents aux raisons de ce désir d’être donneur réel, sont présents dans ce texte :

On ressent toute la fragilité narcissique de cette mère qui, par cette transplantation essaie de se sortir d’un manque de reconnaissance qui gonflerait un narcissisme précaire : « on est un numéro comme les autres »

Au lieu d’avoir un effet positif, la T.H d’Hélène n’a fait que renforcer sa détresse psychique. Ce don autopunitif n’a pas eu une action salvatrice, au contraire il a renforcé un narcissisme fragilisé. Par ce don, elle n’a pas acquis le bénéfice qu’elle escomptait, c’est-à-dire une re-narcissisation de son image.

La transmission psychique que Mme aurait voulu produire, c’est-à-dire donner un enfant au couple, ne s’est pas accomplie selon son désir. La transmission qu’elle opère est une mise en acte du négatif. La transplantation de l’enfant par l’intermédiaire de ce don organique recherchait comme effet la réparation de la faute d’avoir pu penser donner une maladie à sa fille en raison de son âge. « Cette transmission par un don psychique » réparateur ne peut laisser Mme qu’insatisfaite puisque la « métaphore prométhéenne » n’est qu’illusoire, Hélène demeurant malade.

Cette transmission par ce don psychique ne fait que renforcer une faille dans leur histoire individuelle et de couple.

L’impossibilité par Mme à symboliser sur l’acte produit, sur son histoire de couple et sur l’enjeu que devait produire cette naissance, au sein du couple, qui ne cesse « d’avorter », laisse Mme dans la répétition et la souffrance.

Son désir de réparation reste à l’état de tentative puisque la santé de l’enfant reste précaire. Mme était dans l’illusion de cette « métaphore prométhéenne » où l’offrande (terme qui contient la notion de sacrifice) de ce don organique serait venu tout réparer. Malheureusement lors des rencontres, la distension du couple ne parvient pas à émerger. Mme ne s’accorde pas la possibilité d’évacuer sa culpabilité malgré le paiement symbolique de cette dette (avoir donné une maladie à sa fille) par ce don sacrificiel autopunitif. Elle ne transmet qu’un don psychique déstructuré enclin à des failles et des blessures narcissiques.

Au cours de mon contre transfert, je ne suis pas parvenue à entendre que les pères de ses enfants sont différents. Cet élément de renvoi aurait pu permettre d’amener Mme à verbaliser sur ce fait non caché mais resté implicite.

Notes
1.

65 Les infirmières m’expliqueront qu’à la dernière visite elle a refusé et s'est opposée à la énième opération de sa fille. Elle est partie avec sa fille sous son bras en hurlant dans tout le service « on ne va pas me tuer mon enfant (…). Je préférerais mourir moi aussi.» Son fils était présent lors de cette altercation.