1-2-5-4 12ème rencontre

Hélène est ré-hospitalisée pour des complications particulières. Les infirmières me font part de leurs difficultés et du transfert/contre transfert important que leur fait jouer Mme en leur renvoyant de manière inconsciente une souffrance morale qui devient intolérable pour l’équipe les mettant en échec dans leurs gestes de soins. Les infirmières n’arrivent plus à pénétrer dans la chambre d’Hélène sans que Mme ne pleure. A chaque tentative de soins, elle met en échec le geste de l’infirmière. Si le geste s’exécute pas selon un rituel fixe, cela se termine par des pleurs et des cris de Mme demandant qu’on lui laisse son enfant que « tout le monde ne lui fait que du mal ».

A mon arrivée, je croise le regard d’une infirmière qui sort de la chambre, impuissante face à ce déferlement de souffrances morales de Mme. Cette dernière est assise sur une chaise berçant son enfant, tuyautée de part en part, sans précaution pour les perfusions. L’enfant pleure en hurlant tout autant que la mère.

A mon entrée dans la chambre, Mme, en larmes, me dit : « Ils vont me la tuer, je vous le dis, je veux qu’on nous laisse tranquille. Elle n’en peut plus. Regardez là, elle est mal, elle pleure, je ne peux plus la calmer. »

Lorsque je m’approche, l’enfant en me voyant se met à hurler de plus belle. Hélène se colle de plus en plus contre sa mère et m’observe avec des regards effrayés. Habillée d'une blouse blanche, je réalise qu’elle pense que je vais la toucher pour lui faire mal. Je montre mes mains à Hélène et tout doucement, je lui explique que je viens la voir ainsi que sa maman, que je ne suis pas infirmière et ne vais pas la toucher. Je lui montre mes mains sans objet. Mme confirme en lui caressant ses cheveux : " non, elle ne va pas te toucher ".

Tout doucement, en parlant plus bas que ses cris, je lui explique qui je suis. Par curiosité, elle arrête de hurler pour pouvoir entendre ma voix. Je m'approche d’Hélène en lui parlant doucement et calmement pointant la présence de son nana. Intriguée, elle m'observe. Sa mère lui parle en même temps, en la calmant et en touchant son nana. Hélène le regarde. Je m’approche plus près pour toucher son nana. L’enfant ne bouge plus. Elle prend sa tétine et la suce pendant que je prends un nounours dans son lit. Je lui raconte une histoire en faisant bouger le nounours, elle regarde. Mme observe, pleure en silence et m’accompagne symboliquement acceptant ma présence auprès de sa fille. L’enfant montre des signes de fatigue et (….) progressivement s’endort.

Mme est soulagée et pleure en berçant son enfant comme si elle ne pouvait se séparer d'elle.

Je lui propose de sortir quelques instants de la pièce qu’elle n’a pas quittée depuis des heures.

Elle a un moment d’appréhension :

Mme : « elle va se réveiller si je sors de la pièce ».

Je lui propose de tenter et lui renvoie que sa fille a besoin d’une maman disponible et qu’elle doit s’autoriser à sortir de la pièce pendant le sommeil de sa fille ce qui lui permettrait de se régénérer.

Epuisée nerveusement, à la limite de la crise de nerfs, elle accepte de descendre « prendre l'air ».

Puis, elle s’effondre verbalement à nouveau :

« Je ne supporte plus de la voir souffrir. Il y a des fois, je préférerais qu’elle soit morte au moins elle ne souffrirait plus. Je regrette d’avoir donné mon foie et puis que ça ne marche pas. J’ai donné et elle est encore malade ! »

Elle entend qu’elle avait donné trop de souhait (mis trop d'espoir) dans cette acte qu’elle vivait comme magique. Je lui rappelle ses paroles évoquées en réanimation. Elle me dit : « je ne me souviens même pas que vous êtes passée en réanimation et que je vous ai dit tout ça. […] J’ai tellement été heureuse avant. J’avais tout. J’ai été punie. J’étais vraiment trop heureuse. J’ai fait tout ce que je voulais. J’ai vécu tout ce que je pouvais vivre. Maintenant je voudrais mourir. Parfois je pense à la mort et à me suicider. Si je me suicidais, tout serait fini. Je partirais avec ma fille et on en finirait. Je ne veux plus de toute cette souffrance. Mon mari, il s’en fou. Comme je vous ai dit, il travaille, mais il ne s’occupe de rien. Jamais il ne s’est battu pour qu’elle vive. Je la porte à bout de bras depuis qu’elle est née. Quand je me suis mariée, j’étais tellement heureuse ! Nous nous aimions. Maintenant, je m’en fou. Il peut faire ce qu’il veut. »

Je lui renvoie que lors de la transplantation je lui avais pointé des difficultés de couple et qu’elle les avait niées. Mme : « Oui parce que je l’aimais. Maintenant plus rien ne m’intéresse. Avant ma vie de couple, j’ai vraiment vécu, alors maintenant je peux mourir et si je meurs tous mes problèmes vont disparaître. Je serai en paix ».

Elle déverse à ce moment là toute sa détresse, toute son angoisse qu’elle ne peut exprimer au milieu médical car ils touchent au corps, symptôme de la souffrance psychique. Le psychologue, extérieur au domaine corporel, mais intérieur dans l’institution et en lien avec la maladie peut entendre cette souffrance.

Cependant, Mme n’est toujours pas dans une possibilité à symboliser autre chose que sa souffrance présente, dans l’incapacité à mettre du sens sur des difficultés passées.

Mme : « Vous vous rendez compte ? Tout le monde va mal. Ma fille voit un psychologue, et mon fils somatise en faisant de l’eczéma géant. On veut en sauver un et tous vont mal. Alors qu’est ce que j’ai fait de bien là-dedans ? […] C’est de ma faute. Je l’ai rendue malade (évoquant l'incident avec les médecins en présence de son fils). Je ne me suis pas contrôlée et je me suis énervée. Il est malade depuis![…] Non c’est trop. Je ne vais pas tous les rendre malades. J’en ai sauvé un et j’en perds deux. »….

Inquiète, Mme souhaite revenir auprès de sa fille, trop fatiguée pour continuer à s’exprimer.