1-3 Conclusion 

Comme le transcrit Frances TUSTIN « Une mère qui a ressenti et vécu l’enfant qu’elle portait comme une garantie contre le sentiment caché d’une perte insupportable ressent la naissance de son enfant comme la perte de cette partie ré-assurante de son corps ».

La naissance est une expérience angoissante renforcée par la préexistence d’une potentielle pathologie. Cette expérience d’une séparation prématurée, d’une perte narcissique est venue s'achopper à une réalité qui n’avait pu encore expérimenter, investir l’enfant né. Cette « désidéalisation brutale de l’enfant merveilleux » est vécue comme blessure narcissique.

Des traits agressifs sont présents dans le discours maternel que nous retrouverons au cours des rencontres se développant et prenant au fil du temps une forme corporisée.

La pathologie d’Hélène a eu une incidence toute particulière sur la problématique psychique de Mme. Cette faille dans l’accomplissement de la mise à la vie de cette enfant a activé une fragilité à la fois individuelle et de couple. Cette enfant était porteuse d’un projet dont nous ne parvenons pas à identifier les enjeux conscients et inconscients.

Nous pouvons seulement reprendre le principe énoncé par A. Missenard :

« L’enfant auprès de sa mère et de son père occupe une place comme « projet » dans le prolongement de leur narcissisme, et il est placé de plus dans le désir inconscient de sa mère. »166

La létalité d’Hélène a laissé apparaître une défaillance dans le narcissisme de Mme qui laisse s’exprimer un soubassement dépressif où Mme est remise constamment en question du fait de la transplantation de sa fille et de sa position de donneur réel. Le questionnement fondamental étant celui d’être ou ne pas être, exister ou ne plus exister.

Quant au père, très peu présent durant les hospitalisations, il n’a pas participé à la transplantation dans le sens symbolique du terme. Il n’a pu tenir sa place de donneur par délégation en raison d’une non décision commune de recourir à une transplantation par donneur intrafamilial. Le geste de sa femme est une forme de dépossession de son enfant.

Etre un couple est une condition primordiale à l’émergence d’une forme de parentalité commune et partagée. Jeammet l’exprimant ainsi « avant d’engendrer des enfants, le couple a à s’engendrer lui-même. »110

Mais les parents d’Hélène, en sont-ils à ce stade au moment de la procréation de cet enfant ? L’amour parental doit pouvoir effectuer un déplacement du narcissisme vers un investissement d’objet autre que les deux protagonistes, un autre distancié : l’enfant. Freud dans son texte « Pour introduire le narcissisme » l’expliquait en ces termes : « l’enfant qu’elles mettent au monde, c’est une partie de leur propre corps qui se présente à elles comme un objet étranger, auquel elles peuvent maintenant, en partant du narcissisme, vouer le plein amour d’objet »167. Dans ce couple parental la faille narcissique est telle que Mme s’engendre dans un miroir constant avec son mari sans jamais trouver de satisfaction, la pathologie de l’enfant vient produire une cassure et renforcer cette fracture psychique dans un narcissisme précaire.

Toute la conflictualité pour Mme, réside dans cette part narcissique incomplète, blessée par l’arrivée de cette enfant malade. Pour Mme, ses grossesses interrompues prennent le sens suivant : le fœtus dans son premier désir de grossesse est vécu comme une partie intégrante du corps de Mme, investi d’une certaine libido narcissique. L’enfant pour advenir à la vie dans le psychisme parental doit être identifié à une partie de soi suffisamment étayé pour parvenir à autre chose qu’une crainte dépressive sous la forme de peurs telles que : l’enfant soit malade, la survenue de modifications corporelles maternelles. Ceci provoque chez Mme la reviviscence de conflits qui se réactualisent sans parvenir à se résoudre puisque la T.H d’Hélène n’a pu produire la réparation escomptée.

Nous pouvons nous interroger sur les capacités du couple à se reconstruire si la « transmission par un don psychique » perdure selon un mode pathogène, peu structurant et non unificateur. Il faudra compter sur les capacités internes de l’enfant à mobiliser ses parents dans un nouveau projet commun tenant compte de la réalité de transplantation qui doit s’inscrire dans une transmission générationnelle au sens restreint pour le couple et la fratrie et plus large pour les deux familles d’origine.

Notes
1.

66 Missenard A. (1989), “ Introduction : Repérages du négatif aujourd’hui”, p 3.

1.

10 Jeammet N. (1985), “Faut-il être normal pour avoir des enfants « normaux » ? ”, p 256.

1.

67 Freud S. (1914), “Pour introduire le narcissisme”, p 95.