2-1 Mise en travail théorique du concept

2-1-1 Donneur réel et donneur par délégation

Nous nous reportons sur l’étude de B. Duez sur la notion de cadeau perçue selon ses termes entre « fantasme », « mensonge » et « vol »167 pour explorer la problématique de ces parents donneurs vivants.

Donner une partie de son foie en tant que sujet potentiellement sain met en action le processus d’offrir en cadeau une partie de son foie. Ceci présuppose que la démarche psychique ne s’accompagne ou ne se fonde pas sur des processus pervers ou psychotiques, condition qui, à mon sens, doit amener un refus catégorique du milieu médical afin de protéger l’enfant futur transplanté mais aussi le couple parental.

Le lobe de foie, mais surtout l’acte psychique qui l’accompagne doit être perçu comme un « don-cadeau » et non un « cadeau-volé » car comme le théorise B. Duez :

‘ « Le cadeau est un processus de transfert réel d’une chose entre un donneur et un receveur »168.’

Dans le cas d’une transplantation par don intrafamilial, la notion de donneur est élargie à l’entité parentale. Si le don est uniquement celui du donneur physique, ceci signifie et marque la présence effective et souvent inconsciente de difficultés particulières qui peuvent trouver leurs origines dans la problématique même du couple (cf. Hélène) ou en raison de troubles psychiques plus manifestes d’un des partenaires (cf. Linda). Ce mode de résolution de la problématique familiale préexistant à la T.H entraverait à court ou moyen terme un développement harmonieux de l’enfant comme entité une et indivisible.

Le don à l’enfant ne doit pas devenir un mode d’appropriation de l’autre, le donneur physique, car cette démarche pourrait aller jusqu’à des distorsions éthiques. Ce don doit pouvoir, s’inscrire dans une transmission que l’on peut nommer de secondaire puisque la naissance primaire correspond à la mise à la vie initiale de l’enfant, et permettre l’inscription du partenaire non donneur comme acteur symbolique de la re-parturition chirurgicale de leur enfant.

Le non donneur doit être intégré par le donneur physique dans l’acte du don-cadeau (cf. Maeva) ceci rentrant dans le processus intersubjectif de l’histoire à la fois individuelle et familiale du couple et dans un sens plus large de celle de l’enfant. Comme nous l’affirmions précédemment, il nous paraît fondamental de le re-citer : le couple devient donneur l’un par l’autre, c’est-à-dire par un don réel, et l’autre par délégation à son conjoint.

Dans tout cadeau, il y a ce qui est donné, acte réel et ce qui est sous-jacent au donné basant le don sur de l’intergénérationnel ou/et du transgénérationnel. C’est ainsi que les deux parents transmettent, de leur place de donneur réel ou par délégation, leur part transférentielle. B. Duez décrit la scène transférentielle du don-cadeau comme s’articulant entre l’unité d’action et l’unité de temps selon trois phases qu’il a dénommées : « l’anticipation imaginaire », « l’instant de l’échange » et « l’inscription symbolique ». Nous allons vous proposer une lecture du concept rattaché au domaine de la transplantation par don intrafamilial.

La première phase dite « d’anticipation imaginaire » correspondrait dans notre cas au don d’organe qui doit être intégré psychiquement, mécanisme auquel nous avons, pour notre part, attribué le terme de « processus de psychisation », pour les sujets donneurs (réels et par délégations). Nous devrons obtenir une cohésion à minima parentale pour la décision commune de T.H et du choix du parent donneur. Ce geste serait prévalant d’une action intrapsychique spontanée comme cadeau et non comme moyen potentiel d’aliéner autrui à soi, pour le couple ou pour l’enfant. Le receveur est absent de toute décision volontaire, puisque l’âge des enfants transplantés est souvent très jeune, avant l’acquisition du langage. Sa présence est sous-jacente à l’intention du donné. Ce don est une marque, une trace matérielle (par la cicatrice) et psychique de ce que les parents désirent signifier à l’autre.

La deuxième phase, « l’instant de l’échange », B. Duez la caractérise comme le moment déterminant dans la construction psychique. Ce point nous apparaît fondamental, il est le lieu d’un entre-deux où tout se joue, se noue et se dénoue dans la problématique familiale. Le mouvement, l’action du don doit amener une jouissance dans le sens d’une réalisation positive d’un désir. Cette production de plaisir dans le don est fondatrice en transplantation pédiatrique car elle a pour but de ramener un enfant à la vie s’associant alors à un panel de transfert de soi à soi, de soi à l’autre et de soi aux autres. Cette phase est à relier au processus de re-narcissisation. Sa mise en échec amènerait une dé-narcissisation ou une fragilisation de l’image de soi demandant pour subsister un réaménagement psychique certainement profond (nous avons fait le choix de ne pas solliciter des parents dont l’enfant est décédé au cours de la T.H par don intrafamilial). Nous percevons donc toute l’importance que cet échange tant psychique qu’organique se médiatise au travers d’une relation de donneur, réel et par délégation.

La troisième phase reste la plus complexe à observer dans l’instant puisqu’il s’agit de « l’inscription symbolique ». Seul le temps pourra laisser apparaître la trace de cette inscription symbolique. Selon B. Duez, il la définit ainsi : « la chose retourne comme « chose objet/écran » qui remémore, en même temps qu’il scelle, la relation au donneur. L’étayage du cadeau sur la chose assimile remémorable et retrouvable. Il est caution de la présence psychique de l’autre en son absence. »169

Ainsi pour que cette « chose objet/écran » retrouve sa juste place, il est primordial que puisse co-exister cette spécificité de don réel et par délégation afin que puisse à nouveau advenir un enfant à la vie dans un désir commun.

Derrière ce cadeau de vie, de soi, que les parents adressent à leur enfant, se cache la part inconsciente de l’offre, une forme de culpabilité en lien avec la létalité de l’enfant prenant sa source dans un narcissisme familial et individuel fragile.

La souffrance globale qu’occasionne le prélèvement d’une partie du foie du donneur réel permet aux deux parents d’expier une faute fantasmatique par cette réparation intrusive dans « le corps du couple » jusqu’au risque même de son anéantissement par la mort réelle de l’un des conjoints, le donneur réel.

Qu’en est-il lorsque le donneur réel est, soit le père, soit la mère ?

Notes
1.

67 Duez B. (1990), “Vole moi un cadeau”, p 24-31.

1.

68 Ibis.

1.

69 Ibis.