1- Aspect général de l’objet

Tout d’abord, l'objet dans le sens générique prend toute sa place dans cet univers hospitalier. Nous retrouvons tout un réseau d'objets réels comme mode de relation au sein du médical, pour ne référencer que les plus usuels :

  • - l'objet - instrument, objet technique de soin entre patient et soignant
  • - l'objet - corps, le sujet est clivé entre organique et psychique
  • - l'objet - dossier médical, qui fait tiers entre soignants/patients allant même jusqu’à faire oublier au soignant la présence de l'autre comme individu
  • - l'objet – organe/foie, centralisateur de la pensée clivée en bon foie, le don, et mauvais foie, le dysfonctionnant
  • - et l'objet – don, don de toutes les envies, redouté et espéré.

Tous ces objets réels ne font qu'établir des réseaux de relations intrapsychiques et intersubjectifs vers un objet non concret mais symbolique, « la transmission par un don psychique » identifiable par la transmission d'un émetteur à un récepteur d'une information, communiquée, reçue ou déformée. Ce traitement psychique laissera une trace ou une absence d'inscription, qui elle aussi prendra sens dans l'histoire du sujet. Cette « transmission de ce don psychique » structurera l'enfant, dans ce qu'il deviendra, tout en l'inscrivant dans la lignée générationnelle.

C’est ainsi que le postulat, développé par E. Granjon sur la transmission, s’applique à l’identique dans ce contexte de transplantation où de même, «  « la précession du sujet par plus d’un autre » (comme le dit Kaës) et la nécessité pour lui d’être héritier obligé, bénéficiaire, mais aussi penseur, voire créateur de ce qui lui a été transmis. »171

Ces objets permettent une mise à distance de cette insoutenable : la maladie ou la mort. Cet objectalisation172 favorise une approche de la souffrance par le soignant et devient pour les parents, éléments, tiers protecteur masquant une réalité douloureuse.

« Les apports du sujet aux objets et à l’objet de l’objet. La chaîne des objets est une structure de la transmission à laquelle le sujet se heurte : l’objet de l’objet (de la mère) introduit la référence au père dans le discours de la mère. »173

Cette multiplicité des objets activés par cette pathologie est remarquable, mais non étonnant, entre l’objet organe-foie, l’objet transitionnel, l’objet médiateur, l’objet de relation, et l’objet don-psychique dans la transmission.

La transplantation met en scène un échange d’objets réels (organe humain donné et reçu), mais aussi d’objets psychiques (transmission inter/transgénérationnelle entre enfant et parents). Ce don organique a une incidence à un niveau psychique entraînant des représentations, des fantasmes organisant alors « la transmission par un don psychique » en fonction de ces paramètres.

Notre intérêt se centre sur les enjeux de cet objet don-psychique et de sa structuration, organisation dans la transmission. Mais pour ce, l’enfant se trouve dépositaire de ce double objet :

  • - l’organique, dont il n’a qu’une représentation tronquée du fait de la précarité de la transmission d’un schéma corporel insuffisamment structuré en raison d’une difficulté de représentations parentales mise en défaut par la transplantation (cf. dessins de Marie n°1 et 3 ; d’Ophélie n°5, 7 et 8).
  • - le psychique, ce don psychique induit une accréditation nouvelle avec laquelle l’enfant doit élaborer à un niveau individuel ses propres identifications et son narcissisme, et à un niveau groupal son inscription dans une lignée. Et ceci, par l’intermédiaire de cette transmission parentale d’un objet sous forme « d’un don psychique ».

Ce trop plein d’objet envahissant l’univers de l’enfant et l’absence d’espace de parole l’amènent à reproduire le mode de fonctionnement groupal. Il parviendra à s’exprimer par l’intermédiaire d’objets avant de réapprendre à

« parler » de sa souffrance. Ces objets à disposition sont les objets transitionnels qui sont individuels dans le sens personnel, les objets de médiations, s’organisant autour d’une activité thérapeutique et les objets de relation, émergeant dans une groupalité.

Ces trois types d’objets sont matériellement existants cependant ils mettent en représentation le psychisme. Ils possèdent ce double composant, matériel et psychique. L’enfant parvient alors à réunifier à travers ces objets le clivage dans lequel le situe le traitement séparé de l’objet organe-foie et l’objet d’un don psychique. L’enfant parvient à mettre en scène la conflictualité induite dans toute transplantation.

Nous n’aborderons pas directement la notion de don extrafamilial (c’est-à-dire une personne en coma dépassé faisant don de ses organes après sa mort) et de don intrafamilial (un père ou une mère donne une partie de son foie de son vivant pour son enfant). Nous posons le postulat que l'enfant transplanté exprime la conflictualité à travers des objets transitionnels et parvient à communiquer avec l'adulte (parents-équipes) en créant communément un espace de parole par l'intermédiaire d'un objet de relation où ils expérimentent le transmis ; l'objet médiateur, sous forme de dessins et/ou de jeux, proposés par le psychologue à l'enfant, vient rendre compte de cette place spécifique d'écoute de l'intrapsychique d'une « transmission par un don psychique ».

A travers l’étude de vignettes cliniques, nous mettrons en lumière ce travail d’aide et d’écoute, cet espace de parole, de médiation entre enfant/psychologue, de relation qui peut s’engager pour l’équipe auprès de l’enfant et de ses parents à travers l'objet de relation dans « la transmission par un don psychique » mais auparavant, nous revisiterons l'objet transitionnel. 

Notes
1.

71 E. Granjon (1994), “Elaboration du temps généalogique dans l’espace de la cure de thérapie familiale psychanalytique”, P65 -73.

1.

72 Le sujet est représenté symboliquement par autrui comme un objet et non reconnu comme un individu pensant.

1.

73 Kaës. (1984), “De la transmission psychique intergénérationnelle et intragroupale”, p 5.