2-2 Vignette clinique : Nathan ou, « entre toi et moi qui est malade ? »

Nathan a 5 ans, il a été transplanté en super urgence178 à l’âge de 4 mois. Son arrivée est toujours accompagnée de son fidèle chien, une peluche rapiécée, délavée mais toujours présente depuis la transplantation. Ce « chien » n’a pas de nom. Il est un peu comme Nathan perdu dans cet univers rempli de blouses blanches auquel il doit faire des visites régulières, visites souvent accompagnées de douleur (piqué, intubé, mis sous perfusion, radiographié, biopsié…). Le jeune âge de Nathan au moment de sa transplantation induit que le souvenir de l’intervention chirurgicale n’a laissé qu’une trace organique ; à un niveau psychique, les parents et l’équipe médicale en sont les représentants... Par contre, il sait devoir subir ces examens car Papa et Maman, toujours présents, ne lui laissent pas le choix. Il sait aussi que Maman est souvent inquiète. Elle lui a expliqué avoir donné une partie de son foie pour le transplanté car aucun foie n’est arrivé assez tôt. Papa et maman devaient se séparer ; ils sont restés ensemble pour lui.

Aujourd’hui, monsieur le chien est arrivé dans le service avec un pansement sur son bras, « il est malade » précise-t-il à l’interpellation de l’équipe. A son dernier contrôle, Nathan présente des taux anormalement élevés. A la demande de l’infirmière, Nathan la suit en prenant son chien sous son bras comme un grand garçon courageux pour montrer à Papa et Maman. Mais il a peur quand l’infirmière avance son plateau rempli. Après l’intervention de l’infirmière, j’observe Nathan, seul, dans un coin de sa chambre, pendant que ses parents échangent avec le personnel médical.

Nathan «  tu vois il ne fallait pas avoir peur… t’as l’habitude des piqûres… t’es grand…. Bon ! ! ! Alors tu arrêtes de bouger …. » et violemment il se précipite sur la pauvre peluche et la pique, geste exécuté quelques instants plutôt par l’infirmière pour jouer, tel un piolet s’éventrant sur un rocher. Puis il rejette son « chien » et vient réclamer à sa mère en conversation un verre de jus de fruit. […] Il « traîne la patte » avant de revenir auprès de «  Monsieur le chien ». Il reprend sa peluche et la soigne avec attention et délicatesse et la dépose dans le berceau pour nourrissons à disposition dans sa chambre.

Nous percevons dans cette brève expérience que l’objet transitionnel a une fonction pré - élaborative sur le vécu de transplantation pour ce type d’enfant, en expérimentant avec un objet, mais non sur lui, ses souffrances. L’objet transitionnel est l’archétype de la reviviscence d’affects ou de situations traumatiques non structurées en raison de cette transplantation. L’enfant expérimente à travers cet objet transitionnel la « transmission par un don psychique » impliquée dans toute transplantation.

L'enfant, habituellement, a un objet dit transitionnel qui lui est propre ; il devient le seul objet extérieur à la maladie, autorisé à être présent dans un univers médical. Cette démarche est caractéristique dans les services pédiatriques où sont maintenus ces objets transitionnels par la présence tierce sécurisante qu’ils procurent, accolés, accrochés à l'enfant, ou inversement sur un plan symbolique. Cet objet est le seul à pouvoir franchir toutes les portes du médical – au chirurgical, à la différence des parents qui seront tenus à distance. Cet objet prend une place d’autant plus particulière en raison de la situation anxiogène et de la substitution parentale qu’il opère en devenant l’unique représentation constante dans l’univers habituel de l’enfant.

Objet aimé, durant la transplantation, présent même au moment de l’anesthésie en l’absence des parents, et qui pourra être aperçu, selon les équipes anesthésique et chirurgicale dans la salle du bloc opératoire, tel l’enfant posé sur une table. Mais pour rassurer qui, à ce moment là ? Les équipes ? Les parents ? L'enfant ?

Cet objet, double figure de l’enfant, rassurant par sa présence, et figure de l’autre, fait intrusion dans son corps qui le fait souffrir. L’enfant, par cet objet, trouve la potentialité de subir.

Nous allons nous appuyer sur la rencontre clinique à travers des objets médiateurs pour affiner notre hypothèse de la mise en jeu « d’une transmission par un don psychique » dans la clinique des transplantés.

Notes
1.

78 Terme médical signifiant que l’enfant inscrit est prioritaire pour qu’on lui octroi un don en raison d’une mortalité proche.