3-2 Le dessin comme objet médiateur

Descriptif du dessin (cf. n°9 sur planche)

La composition intrinsèque du dessin laisse apparaître un ensemble de formes arrondies, au nombre de 7, qui ont été dessinées depuis la partie centrale de la feuille pour se poursuivre sur une ligne horizontale jusqu’à l’extrémité droite du dessin sur un même plan. Les formes n’ont pas le même volume mais n’excèdent pas 2 cm de hauteur sur 2cm de circonférence.

Le contour des 7 éléments est tracé de manière imprécise, toujours avec des feutres de couleurs différentes. L’intérieur de l’ovale est divisé en 2, voire au maximum en 4 parties, comprenant des rayures ou des points avec des couleurs variées ou associant les 2 formes. Les deux derniers varient dans le remplissage de l’ovale. Ils sont divisés en 4 parties par un axe horizontal et vertical coloriées de manière uniforme et unicolore.

Elaboration clinique autour du dessin :

Hélène est seule dans la salle de jeux. Elle vient de finir ses examens et sa mère est partie faire son bilan de contrôle annuel. L’enfant est âgé de 4 ans lors de l’exécution de son dessin.

Hélène est assise à la table de jeux des tout petits. Elle lève la tête à mon entrée et me montre le dessin qu’elle est en train d’effectuer (cf. dessin n°10). L’enfant communique uniquement par le regard comme l’exprime sa mère : « elle ne parle pas, mais elle sait se faire comprendre ; il n’y a que nous qui la comprenons. Avant la transplantation, elle commençait à s’exprimer et après la transplantation, elle n’a plus voulu parler, elle se fait comprendre ».

Le potentiel de compréhension d’Hélène est remarquable. Seulement des sons et non des mots sont verbalisés. Elle m’accueille avec un magnifique sourire, heureuse de montrer sa production184. Je lui ré-explique le cadre de nos rencontres passées, ma fonction, mon rôle d'écoute auprès de sa mère lors de leur opération chirurgicale.

Suite à mes paroles, Hélène me fait signe qu’elle voudrait une autre feuille. Je la lui tends. Aussitôt, elle me répond par le tracé de formes ovales. L’enfant exécute son dessin avec application, en mordant sa langue lors de l’exécution de l’ovale qui semble alors mobiliser toute son énergie dans le tracé.

Après chaque ovale colorié, l’enfant prend du recul, le regarde et par un sourire satisfait, se remet à dessiner un autre rond. Durant cet échange, nous restons toutes deux silencieuses en laissant se développer, par cette communication extra verbale, la nécessité de l’élaboration d’une représentation intrapsychique.

Mon contre-transfert m’amène à proposer à Hélène une interprétation en lien avec le vécu de transplantation. Ces ronds me font penser à des foies. Le premier, au foie coupé en deux d’une mère – donneur. Et le second, au petit foie d’un enfant qui a reçu une partie du foie de sa mère. Je lui montre du doigt les points rouges et les points verts, tout en précisant que les points verts sont devenus rouges parce que maintenant le morceau de foie est à elle et qu’il est devenu un foie entier lui appartenant.

Silencieusement, elle poursuit alors son dessin en traçant deux nouveaux arrondis, cette fois identiques, de par leur forme, volume et remplissage. Seules les variations de couleurs permettent de les distinguer. Puis elle met un temps infini à les observer en attente d’une verbalisation de ma part qui se fait attendre. Je lui renvoie qu’il me semble que peut-être les deux foies sont identiques, après l’opération de sa mère et d’elle, puisque chacune à une partie de foie qui s’est re-développée. Hélène continue à m'écouter tout en réfléchissant.

Je poursuis en spécifiant à Hélène qu’il est important pour elle d’avoir un foie pareil mais à la fois différent de celui de sa mère, comme elle l'a reproduit dans les couleurs, des points non identiques mais à la fois des couleurs violettes et roses se retrouvent dans le foie de la petite fille, mais différemment, et de plus, le bleu pâle les distingue complètement.

A la fin de mon interprétation, Hélène se remet à tracer deux nouveaux arrondis, un beaucoup plus gros, et divisé en quatre. Alors je lui dis :

« Tiens, on dirait une maman qui se coupe en 4 pour s’occuper de son enfant, mais ça ne doit pas être facile ! ».

Alors Hélène se met à colorier vivement le 2ème foie avec rage, exprimant pour la première fois de l’agressivité. Foie barré portant une tâche. Je renvoie que la petite fille du dessin (imaginaire) a peut-être peur que son foie soit malade, en pointant du doigt la tâche.

Hélène ne répond toujours pas et dessine un nouvel objet, à présent en forme de foie. Il est dessiné de plus dans la même position que dans la cage thoracique (Mme exprimera lors de notre rencontre avoir expliqué à sa fille la situation de T.H). Foie beaucoup plus petit avec une tâche. Je lui renvoie qu’au-delà du « foie-bébé », « le foie-maman » est quelqu’un qui prend beaucoup de place et que là, (je montre le rebord de la feuille) le foie de la petite fille a peur de ce qui est au-delà de la feuille mais que tous les « foies – maman » et « les foies – bébé » sont là pour protéger le foie de la petite fille comme avant le premier foie représenté sur le dessin.

Hélène me tend la feuille d’un air satisfait. Je lui demande si c’est pour moi et elle agite la feuille pour que je la prenne dans un mouvement d’impatience. Je lui renvoie que tout ce qu’elle m’a expliqué par son dessin est important et que je le garde.

En conclusion

Hélène exprime ses représentations de l’image du corps. Son dessin est une trace de son investissement et de sa représentation graphique du conflit intrapsychique et exprime sa conflictualité figurant l’élaboration de la perte originaire, le travail de construction du Moi corporel et psychique et l’assurance a des étais identificatoires. La figuralisation révèle la pensée et la représentation de l’enfant et rend compte du fantasme mobilisé dans l’élaboration clinique.

Ce dessin met aussi en représentation la souffrance de sa mère qu’elle perçoit, entend et ne dit mot…

A travers cette représentation de foies qui semble nous interpeller sur de l’organique, Hélène s’interroge sur sa propre place d’enfant distancié et inscrite dans une relation maternelle. Cette « transmission par un don psychique » prend tout son sens par la représentation de ce dessin qui interroge la question de la transmission générationnelle de l’enfant.

Notes
1.

84 Une sorte de gribouillis informe mais très coloré aux traces compulsives sans agressivité anale.