3-3 L’espace de jeu comme objet médiateur

Le jeu est une des formes primaires d’expression de l’enfant. Nous sommes en accord avec J. Olivier, quand ce dernier, identifie le jeu comme «l’occupation préférée et la plus intensive de l’enfant. […] Tout enfant qui joue se comporte en poète, en tant qu’il se crée un monde où il vit dans un ordre nouveau tout à sa convenance. »185

La transplantation revue et relue par les enfants à travers le jeu raconte leur histoire et celle de leur famille. Ils nous ouvrent leur psyché sur cette impensable en essayant d’y mettre « du pensé », de l’affect et d’y déposer la souffrance psychique et la mémoire d’une douleur organique. Ceci fait référence à la scène de Benny et Jeannot décrite dans le chapitre IV.

Le jeu est le lieu d’expérience, de séparation. B. Chouvier, dans son rapport sur l’enfant et l’adolescent placés, a conclu que la séparation signifie « mettre à part, distinguer, séparer de nous », mais aussi, par la préposition « se » l’acte de mettre ensemble. La synthèse de ce processus serait « l’absence de liaison ». La séparation est un élément primordial d’évolution et de développement du sujet confronté sans cesse à la présence /absence (jeu du forda de Freud) nécessaire à l’acquisition ultérieure de la perte symbolique qui entraîne le deuil. Mais l’enfant transplanté est assailli de séparations (absence des parents à l’hôpital, rupture du rythme de vie du quotidien par des hospitalisations répétées…) et de pertes (perte d’une partie de lui, de sa santé…).

Cette effraction constante et répétitive met à mal le développement psychique de l’enfant. Sa capacité à surmonter cette situation traumatique viendra de sa potentialité à la représentation et de ses processus identificatoires suffisamment structurés, structurants. Il devra sortir, tout comme ses parents, d’une culpabilité de leur avoir fait subir ou vivre une expérience si douloureuse. L’enfant recherchera en quoi et pourquoi il a produit un tel effet. Il expérimente tôt l’épreuve du deuil par ses pertes constantes et répétitives. Dans le jeu, l’enfant met en représentation les modalités entendues, conscientes ou inconscientes, de cette « transmission par un don psychique ».

La mise en scène dans le jeu nous évoque bien souvent le déroulement d’une pièce de théâtre. L’enfant crée devant nous tout un espace de représentations suffisamment élaborées, structurés et organisées autour d’actes (théâtraux). Chaque séance étant, soit la répétition d’une scène à l’identique comme dans une recherche de perfectibilité, soit une continuité d’un acte suivant avec un début et une fin. Ceci nous renvoie au travail de l’artiste dont B. Chouvier qualifie la création de « fomentation comme si, à l’intérieur du sujet et au sein des instances psychiques se mettait en jeu une sorte de mise en scène secrète, de relation qui se noue, pour permettre que l’œuvre pensée se trame sans réveiller, sans donner place à la culpabilité qui viendrait empêcher que ce travail de création puisse s’élaborer. »186

Le jeu ne peut s’établir que par la capacité du sujet à investir des objets dans l’imaginaire pour expérimenter, confronter la réalité externe à la réalité interne au travers d’une mise en scène subjective.

C. Vacheret définit cette médiation par l’objet comme la potentialité pour l’enfant d’accéder à une « zone de transit ». Elle précise que : « L’aire de jeu est une néo-réalité recréée, qui permet de sauvegarder ou d’établir les liens entre le dedans et le dehors. »187

L’enfant transplanté est en recherche de ses limites internes et externes, de contenant, dans le sens défini par D. Anzieu, d’enveloppes psychiques construisant un Moi-peau, qui est modifié en raison d’une effraction dans son corps propre et dans celui d’un autre. Cette capacité de mettre en jeu des objets extérieurs nécessite déjà une certaine élaboration psychique de reprise, de transformation mais surtout de créativité à travers une pensée et une mise en expression non verbale du corporel.

Nous terminerons ce développement théorique sur l’objet de médiation, par une intervention de C. Vacheret, avant de vous renvoyer à la vignette clinique mettant en travail l’objet de médiation à travers le jeu, dans l’écoute de la « transmission par un don psychique ».

Nous renvoyons le lecteur à la scène de jeu exposée dans le chapitre IV de Marie avec sa peluche.

‘ « Le sujet qui accède à cette capacité d’investir des objets médiateurs, témoigne de sa capacité à surmonter l’expérience de la négativité188. »’

Dans cette scène avec Marie décrite dans le chapitre IV en page 237-239 entre Benny, la petite fille et Jeannot, le lapin, se rejoue le même questionnement que celui exposé sur les deux dessins présentés précédemment.

Nous allons nous intéresser maintenant à un autre aspect de l’objet qui ne fait plus appel à une médiation mais à une mise en relation.

Notes
1.

85 Olivier J. (1992), “Le tableau «  objet de relation  »  ? ”, p 175.

1.

86 Chouvier B. (1992), “Ecriture et fomentation créatrice, double personnage”, p 91.

1.

87 Vacheret C. (1988), “De l’objet transitionnel aux culturels”, p 74.

1.

88« C’est-à-dire, selon Claudine Vachette, du manque de l’absence, de la séparation, voire du deuil et de la mort comme réalité incontournable. », in “De l’objet transitionnel aux culturels”, p 74.