4-1 Définition du concept théorique : objet de relation

Nous nous appuierons sur les travaux de C. Guérin pour ré-interroger l’objet de relation. Les principaux auteurs s’étant intéressés à cette question sont M. Thaon (1988) et C. Guérin (1991), d’autres les rejoignent principalement par l’intermédiaire des journées d’étude du C.O.R d’Arles qui traite de la question de l’objet tel que G. Gimenez, E. Granjon.

M. Thaon (1988) et C. Guérin (1992) donnent les bases théoriques dans leur article respectif « Caractéristiques et fonction des objets de relation » et « L’objet de relation ou la transparence de l’obstacle à propos du film de W. Wenders.» Tous deux accordent trois propriétés distinctes à l’objet de relation.

Des propriétés qu’ils caractérisent de physiques, psychiques et groupales.

Les propriétés physiques se définissent autour de l’objet lui-même en concevant qu’il possède sa structure propre bien distingue de tout référentiel avec le sujet ce que définissait D. Winnicott comme constitutif de la catégorie non-Moi. Cet objet étant distancié du Moi, il doit donc posséder un critère strict et irrévocable ; il est « inanimé » comprenant une « qualité de neutralité » et de « malléabilité ». En détenant ces caractéristiques l’objet peut être le support de tout type d’investissement positif comme négatif.

Les propriétés psychiques sont aux nombres de trois :

L’objet remplit une « fonction de pare-excitation », de « protection psychique primordiale » et « Il n’est pas un élément fusionnel entre les personnes mais, dans le jeu de l’écart des investissements, il peut devenir un point de castration. » face à une agression externe de type traumatique. La transplantation est une des formes extrêmes qui peut venir attaquer l’équilibre psychique du ou des sujets concernés. La fonction de pare-excitation a pour rôle principal de contenant de l’émotion soulevée par la létalité de l’enfant.

C. Guérin précisait aussi que cette frontière fluctue devenant rigide, transparente ou poreuse.

Quant à M. Thaon, il précisait sur ce point de castration que deux chemins pouvaient être pris :

  • Le premier chemin : « l’objet de relation est le produit d’un travail psychique préalable d’une des deux personnes qui associe une souffrance ressentie dans la relation à une forme investie au préalable par lui et qui est offerte à l’autre comme conteneur potentiel des émotions. »
  • Le second chemin : «  l’objet de relation est constitué lors d’une rencontre violente à travers un objet où un aspect non élaboré de l’appareil psychique du thérapeute aura été remis en question par une action de son interlocuteur, sans que sa capacité associative ait disparue. L’objet vient alors médiatiser la rencontre mais aussi la concentrer et aider à son élaboration. »191

La fusion entraîne de la confusion et alors une part d’élaboration ne peut se mettre en jeu. Cet objet est le support de différents investissements. Cette mise en scène collective « fait vivre » l’objet à un niveau intrapsychique et interpsychique (sans mettre en danger l’intrapsychique) amenant de multi représentations individuelles vers l’élaboration groupale d’une relation d’objet unitaire, source de partage.

‘« Par sa concrétude et son existence propre, l’objet de relation n’est pas réductible à un objet interne ou à nos activités fantasmatiques ou de pensée. « ob-jet » signifie ce qui est jeté (jectum) en face de (ob) : « jeté devant » et renvoie à « ce qui se présente aux sens »191b (Pioche, 1971) ».’

L’objet de relation peut être un représentant externe d’un fantasme de peau-commune. Cette absence ou cette intrusion dans la « peau » de l’enfant et du donneur intra ou extrafamilial figure un morcellement de l’unité antérieure. Le partage d’un objet de relation commun recrée une unité artificielle reconstruisant une peau – commune c’est-à-dire un lieu d’échange partagé autour de la source anxiogène.

Les propriétés groupales font référence à la notion d’intermédiaire comme les ont définis successivement G. Roheim (1943), D. Winnicott (1971) et R. Kaes (1985).

  • L’objet de relation trouve son origine dans un investissement pluriel résultant d’une expérience partagée. « Il se constitue dans la liaison de plusieurs sujets ensemble, et il est un représentant de celle-ci. ». Cette caractéristique en fait sa spécificité et le distingue de l’objet transitionnel.
  • « Il a une fonction d’interface psychique et articule les sujets à des niveaux hétérogènes. Chacun n’investit par un même objet de la même manière et le travail clinique nous confronte souvent aux avatars de cette position différenciée et qui n’est pas toujours tolérable. »
  • « Il rend compte à travers l’usage et la fonction qu’il remplit de l’état de relation entre les sujets. »
  • « Il résulte de la prévalence chez les sujets en présence du mécanisme de l’identification projective. A travers l’objet de relation est mis en œuvre : une projection mutuelle, évolutive et complémentaire des sujets entre eux. (…) Identification projective groupale. »192

Le terme « d’interface psychique » signifie que l’investissement de l’objet fluctue en fonction de l’état de la relation et de la situation anxiogène (cf. la vignette clinique d’Hélène proposée ultérieurement).

Notre conception de l’objet de relation tient compte de ces trois critères physiques, psychiques et groupales décrits précédemment par C. Guérin et M. Thaon. Cependant, nous en modifierons un des éléments.

L’objet de relation, dans la théorie classique développée par les auteurs, serait un objet faisant lien entre deux psychés et créerait par cet espace intrapsychique /intersubjectif une rencontre. Mais de cette notion, nous pourrions compulser une groupalité d’un espace de création groupale, motivé par cette situation anxiogène à l’état brut, l’acte de transplanter, mettant en lien directe mort/vie. Par la notion de groupalité, nous faisons appel à un processus plus global ne se limitant pas seulement à deux psychés. L’objet de relation décrit tiendrait compte de l’ensemble des protagonistes impliqués dans un temps donné auprès de l’enfant transplanté.

En maintenant le postulat fondamental de M. Thaon (1988), E. Granjon (1990), C. Guerin (1992), l’objet de relation représente l’état de la relation a un moment donné de la rencontre : c’est sa caractéristique principale.

Cette création groupale favorise une mise en tension commune de l’effet anxiogène qui se libère sous couvert de l’objet de relation. Cette mise en « jeu » du « je », individuel et groupal, favorise l’expression du vécu du trauma dans « l’ici et maintenant ». Cette construction groupale d’une élaboration psychique du vécu individuel et groupal du trauma est une mise en forme du transmis. Chacun, selon sa place, sa fonction dans le groupe, élabore une partie de la représentation, qui interagit pour structurer une transmission dans l’historicité de la transplantation.

Missenard avance le postulat « dans certains groupes […] au début de leur fonction, chacun doit lutter contre l’angoisse de n’être pas (R. Kaës, 1976) et se trouve en « urgence identificatoire ». 193

L’intérêt de cet objet de relation c’est qu’il est investi, comme l’indiquait M. Thaon, de valeurs différentes pour les sujets avec lesquels il établissait une relation :

  • - Pour l’enfant transplanté, il s’agit d’une valeur affective, de projection interne de ses angoisses et des angoisses qu’il perçoit de ses parents.
  • - Pour l’équipe médicale ou paramédicale, l’objet a une valeur de mise en relation, de messager de leur humanité individuelle au-delà d’une fonction groupale.
  • - Pour les parents de l’enfant transplanté, l’objet de relation a pour valeur de faire état de leur relation privilégiée à leur enfant et de mise en relation, en tension par leur intermédiaire leur semble-t-il : enfant/équipes.

L’intérêt de recourir à l’objet de relation en transplantation pédiatrique provient du terme composé qui renferme l’explication. L’objet de relation, soit deux termes mis en proximité par un troisième terme « de ». L’objet comprend des caractéristiques de ce qui est concret et la relation fait référence au champ théorique de l’abstrait. Cet objet de relation tient compte du monde matériel externe mais aussi du monde psychique interne. Cette double composante se retrouve dans la « transmission par un don psychique » à la fois matérielle par le don organique et symbolique par le don psychique.

Cette transmission générationnelle est la résultante de ces deux principes. La mise en jeu de cet objet de relation au sein de l’hospitalier vient figurer le psychique et le matériel qui unissent les différents protagonistes (enfant - équipes - parents). La neutralité de l’objet favorise une projection commune des angoisses, des affects autour de la transplantation de l’enfant.

Il devient un objet de lien, relationnel, entre l’enfant et ses parents, l’enfant et le milieu médical, les parents et les équipes, s’élaborant communément.

Des objets extérieurs, c’est-à-dire investis, créés, hors cadre hospitalier, ont une fonction propre bien connue chez l’enfant, celle d’objets transitionnels. Lors de la transplantation, ils prennent une place transitoire spécifique entre ces trois entités (enfant-parents-équipes) en étant investis groupalement comme objets de relation en ce lieu et à ce moment spécifique.

Nous nous sommes donc interrogés sur la place de ces objets tels que peluches, tissus qui accompagnent l’enfant en milieu hospitalier au cours de sa transplantation et qui sont référencés dans la littérature : d'objets transitionnels. Nous nous sommes aperçus, au cours des temps d'observation, que ces objets ne fonctionnent pas, nécessairement et seulement, comme des objets transitionnels, propriété et investissement personnel de l’enfant. Dans le cadre hospitalier, ces objets « s’animent » aussi, d’une autre « vie », d’une autre place. Ceci provient de repères familiaux, relationnels, individuels qui ont modifié les liens initiaux, par « l’état d’urgence ». C’est alors que la création d’un espace de parole s’élabore insidieusement entre les différents protagonistes (enfant\parents\équipes) sous la forme de ces objets (peluches, tissus) que nous avons identifiés d’objets de relation.

Cette relation établie autour d’un objet est suffisamment décentrée de l’enfant et lui permet de déposer sur l’objet ses affects angoissants pour être entendu. De même, l’adulte investit l’objet et lui fait porter par identification projective la source traumatique et anxiogène. Il devient le dépositaire d’une expérience partagée et commune, l’intermédiaire d’une mise en mots et articule de fait une relation entre les différents protagonistes. C’est en ce sens que cet objet intermédiaire entre plusieurs psychés est un objet de relation par la pluralité des investissements.

Comme nous l’avons précisé précédemment, la majorité des enfants en attente de transplantation ont moins de six ans. Cet objet investi (peluches, tissus) est déterminé communément dans un pacte implicite et favorise la relation entre parents - milieu médical - enfant. Il fait lien entre les parents/ l’enfant ; l’équipe/l’enfant, les parents/les équipes. C’est en ce sens que cet objet tenu physiquement par l’enfant est aussi porteur d’une dimension relationnelle plurielle investie par l’ensemble du groupe sans pour autant être un élément fusionnel entre les personnes.

Notes
1.

91 Thaon M. (1988), “Caractéristiques et fonction des objets de relation”, p 17.

1.

91b Gimenez G. (2002), “Les objets de relation”, p 87.

1.

92 Guérin C. (1992), “L’objet de relation ou la transparence de l’obstacle à propros du film de W. Wenders Paris, Texas”, p 121.

1.

93 Missenard A. (1989), “Le négatif - figures et modalités”, p 2.