4-3 Situation clinique autour de l’objet de relation

Nous illustrerons ce propos sur l’objet de relation, en retravaillant la clinique à partir d’Hélène195 et en centrant l’exposé sur le matériel en lien avec notre sous-hypothèse.

Rappel du contexte de transplantation :

Dès le premier mois de vie d'Hélène, les médecins diagnostiquent une maladie hépatique nécessitant une transplantation. Elle sera orientée vers un C.H.U pratiquant ce type d’intervention, dès ses 11 mois après des échecs successifs, pour pallier temporairement à la transplantation.

En pré-transplantation 

La mère se présente pour le bilan avec sa fille et les résultats laissent apparaître une dégradation rapide de l’état de l’enfant nécessitant une transplantation dans les semaines qui suivent.

Lors de la première rencontre, Hélène présente des troubles organiques évidents (teint jaune, ascite) mais son développement psychomoteur est adapté pour son âge malgré une gêne due à la proéminence de son ventre. Elle prononce certains mots. La relation à sa mère est adaptée, non fusionnelle, et le père viendra, lors des sollicitations du C.H.U, afin de formaliser la décision de Mme pour une transplantation par donneur vivant, sans se positionner concrètement.

Aucun objet particulier n’est attribué à l’enfant dans les phases d’endormissement ou lors des phases de jeux. La relation avec les équipes, la mère et l’enfant est médiatisée par la parole empreinte d’une certaine confiance. La verbalisation est utilisée pour exprimer à l’enfant les gestes médicaux qui lui sont promulgués, de même dans la relation parents-équipe /parents-enfant.

D’un point de vue des rencontres cliniques établies, en contre partie, la mère se situe dans une urgence à transplanter sa fille et dans l’impossibilité à symboliser :

« Je ne peux pas penser, mais après la transplantation je serai plus disponible ».

Mon intervention se limite à une présence contenante, symbolisant l’existence, au-delà de la problématique organique, d’une réalité psychique. Cette difficulté d’élaboration est à mettre en lien avec « le trop plein » de l’urgence à transplanter, enjeu dans sa propre mort possible.

En péri-transplantation 

Trois semaines plus tard, la transplantation a lieu le jour de l’anniversaire de Mme. Cette symbolique, forte en support fantasmatique, est l’occasion, pour elle, de mettre du sens sur l’enjeu familial dans « la transmission de ce don psychique ». L’objet de relation prend place, à ce moment là, de manière progressive et insidieuse dans cette vie hospitalière en parallèle avec la vie familiale. Cet objet est déterminé par le milieu, en fonction de sa neutralité et de sa malléabilité autour de l’acte de transplantation.

Cet objet suivra Hélène, jusque dans la salle d’opération. En réanimation, il prend place auprès de l’enfant. C’est ainsi que l’objet symbolique d’Hélène est né, tout comme Hélène « renaît » selon l’expression de Mme, après la transplantation. L’objet de relation investi est dans ce cas un tissu. Nous avons choisi ce cas clinique car l’investissement sur cet objet était plus complexe que l’objet de relation, de type nounours, approprié comme un autre à qui chacun fait porter ses fantasmes, ses identifications projectives liant les différents protagonistes tout au long de la situation traumatique induite par la transplantation. Un enfant transplanté mobilise en chacun un transfert de ses propres affects sur la vie\la mort, la naissance\la mort, les transmissions intra- familiales… L’objet de relation permet la gestion de cette souffrance.

Hélène est toujours en réa et Mme est hospitalisée dans le service.

Mme « j’espère qu’elle va bien… j’ai peur qu’on me dise que tout va bien et que ce ne soit pas vrai… ils (médecins, équipes) peuvent me mentir… je n’ai pas de preuve… j’ai enregistré ma voix sur une cassette. Je ne peux pas être près d’elle alors il faut bien qu’elle sache que je suis là. Et j’ai demandé que son « tissu » soit près d’elle. Les infirmières m’ont assuré qu’il y était ».

[…] Le « tissu » d’Hélène, j’espère qu’il est bien près d’elle ? C’est ce qu’ils m’ont dit… c’est important une maman. »

Elle reformule l’importance de la présence du Walkman aux côtés de sa fille. Nous pouvons interpréter ainsi, le Walkman était sa voix et le « tissu » un prolongement symbolique de cette relation maternante.

Le « tissu » est de plus l’objet ouvrant une possibilité de relation dans le jeu avec Hélène car il est un des premiers éléments extérieurs au monde médical à pénétrer dans l’univers clos de réanimation. De ce fait, il est investi par l’équipe pour communiquer avec l’enfant, les parents et de même par l’enfant, puisque, contraint au silence provisoire, puisque, intubée.

Cet objet supporte tous les investissements réels ou fantasmatiques du groupe. Cet objet de relation se crée par le milieu selon une demande implicite en lien avec un affect individuel surinvesti ne pouvant que se médiatiser par le groupe pour être supportable psychiquement.

Cette structure propre de l’objet, n’est pas une partie constitutive du sujet, mais, une partie non-moi commune. Il permet ce partage d’investissement non statique qui pourra au fil des événements supporter les angoisses pour maintenir la fonction organisatrice des relations entre les différents protagonistes.

C’est en ce sens que la demande de l’équipe de leur confier un objet familier à l'enfant pour l’amener, hors présence parentale, au bloc opératoire, cet objet déterminé par les parents, fait lien dans la relation enfant/équipe et symbolise la présence parentale.

Quant à la demande parentale, elle propose un objet provenant de l’extérieur du cadre hospitalier, entité interne à la vie extra hospitalière et connue par l’enfant.

Après deux ans de transplantation

Hélène est âgée de 3 ans. Des complications organiques ont multiplié les hospitalisations et les interventions chirurgicales (au nombre de 7)195b. A sa dernière visite Mme est repartie avec Hélène à l’évocation d’une énième opération en criant « ils veulent tuer mon enfant et je préférerais que nous mourrions ».

Hélène apparaît, comme une petite fille souriante, déterminée dans ses actions. La motricité est complètement acquise. Par contre, au niveau verbal, une régression est notable. L’enfant ne parle plus et s’exprime parfois par des sons que l’on pourrait assimiler à des petits cris d’animaux.

Hélène arrive dans le service toute heureuse de retrouver les infirmières et les interpelle immédiatement pour rentrer en communication avec elles en agitant son « tissu ». Mme est nerveuse et opposante. Elle signale son retard avec un sourire entendu et ponctue son comportement par « on est pénible, je le sais. » L'équipe ne fait aucun commentaire et rentre en communication avec Hélène par l’intermédiaire du « tissu ». Ceci permet d’unifier l’ensemble des protagonistes pour que chacun exprime alors son attente, son angoisse face à la situation par une mise en jeu de l’objet éprouvant, par sa transformation, la réalité psychique commune.

Hélène brandit son « tissu » et sa nouvelle valise. Les infirmières s’extasient de tout cet arsenal de bouts de chiffons. Elle se dirige ensuite vers moi (ne m'ayant pas revue depuis un an) et m’interpelle aussi en me montrant, sans exprimer un mot, ses « tissus », qui, depuis notre dernière rencontre, se sont multipliés en se divisant en plusieurs morceaux. A ma remarque sur cette duplication des tissus, Mme rétorque « c’est plus facile pour les laver et puis on ne les oublie pas. Quand on en a perdu un, on en a toujours un de rechange. »

Ce clonage du « tissu » n’est pas sans rappeler celle du foie qui se divise et se multiplie. Par cette métaphore clonique, entre foie et tissu, Mme met à distance l’angoisse de mort toujours présente chez Hélène puisque les résultats post-transplantation ont été parsemés d’embûches faisant craindre pour sa vie. Une possibilité de retransplantation n’est pas à exclure.

La duplication de l’objet de relation montre l’effritement psychique, tant de la mère que de l’enfant, l’impuissance de l’équipe infirmières à réunifier l’éclatement des tissus. L’objet de relation devient le support d’un investissement des représentations négatives de l’ensemble du groupe, médiatisant de fait l’angoisse commune d’un effondrement psychique par cette division interne subie par le groupe familial de par la transplantation.

Hélène montre à chacun ses tissus, un par un, en les mettant très haut au-dessus de sa tête, pour que le tissu se déploie dans toute sa longueur. Je lui fais remarquer qu’ils sont grands tout comme elle a grandi depuis notre dernière rencontre.

Elle m’adresse un magnifique sourire entendu puis elle montre qu’elle range chacun de ses tissus dans sa valise. Elle ne prononcera toujours pas un mot. La mère précise « je lui ai acheté une valise pour qu’elle ne les perde pas, comme ça ils sont tous ensembles. »

Je vais m’arrêter sur la parole de cette mère et conclure cet exposé.

En conclusion :

C’est ainsi que cet objet de relation subit tout au cours des étapes de la transplantation une évolution puisque les identifications projectives s’organisent, se désorganisent en fonction des relations entre les sujets eux-mêmes. Comme nous avons pu l’identifier, dans ce cas, en réanimation, l’objet de relation est investi positivement, structurant la relation.

Au contraire, après deux ans de transplantation, l’objet de relation laisse percevoir toute la détresse, l’impuissance des différents protagonistes. La projection négative et la mise en jeu sur le tissu de ces affects individuels et groupaux permettent le maintien d’une relation.

La cohésion interne du groupe autour de cet objet de relation met en travail la conflictualité à un niveau individuel et groupal. Cet objet de relation favorise l’élaboration du psychique en laissant s’exprimer l’angoisse de mort, en focalisant la relation sur un discours purement organique.

Cet objet de relation est le dépositaire d’une expérience partagée, d’une mise en mots de la situation traumatique de transplantation.

C’est ainsi que les équipes sont confrontées dans ces services à une souffrance à l’état brut, ce qui rend le travail du soin corporel complexe dans la relation qui n’est pas unidirectionnelle, c’est-à-dire, adressée au seul patient. En pédiatrie, le soin est multiple. Il s’adresse dans un acte réel à l’enfant, afin de remplir la mission initiale, mais aussi aux parents, de manière symbolique et spécifique selon la place parentale. Le parent en position maternante doit partager son enfant avec des membres d’une équipe pour les soins qu’il ne peut pratiquer. Le parent en position paternelle voit sa position de tiers se renforcer étant confronté non seulement à celle du maternant mais aussi à celle de l’équipe. L’enfant, quant à lui, se crée son univers hospitalier, trouve ses marques auprès d’un personnel avec lequel s’est construit un lien, une complicité au vu du temps passé à l’hôpital.

Notes
1.

95 Pour plus d’informations se référer à l’étude de cas du chapitre VI.

1.

95b Sept étant aussi le nombre de foies qui ont été dessinés.