5-Synthèse théorique

Ces trois objets (transitionnel, médiateur, relationnel) favorisent, chacun à leur niveau, la construction d’une identité d’enfant transplanté, de pare-excitation contre l’angoisse de mort, et de lien générationnel organisationnel. Les objets « trouvés – créés » par l’enfant transplanté jouent à l’intérieur du cadre hospitalier une fonction d’articulation, de lien entre lui et les autres dans son histoire. Ces objets lui permettent de traiter le don psychique transmis par les parents le mettant en scène selon son vécu de transplantation effective (post-transplantation sans difficultés, multiples rehospitalisations…).

Nous allons reprendre l’apport des trois objets (transitionnel, médiateur, relationnel) en fonction de la « transmission par un don psychique ».

L’objet transitionnel apparaît comme fondamental à « l’articulation entre les sens » (M. Thaon, 1988). M. Thaon l’utilisait dans la mise en rapport des cinq sens qui est importante pour maintenir un corps non morcelé organisé autour d’une fabrication de « sens », mais le terme exprimant, alors, la notion de compréhension. Je développerai cette idée en précisant que cette articulation entre les sens est une articulation de sens.

Cet objet expérimente, comme nous l’avons expliqué, le vécu de transplantation de l’enfant à l’enfant. Il peut s’autoriser à toutes les variantes réelles ou illusoires. L’objet transitionnel peut supporter le rejet de cette transplantation (du don reçu), le refus d’être porteur pour ses parents d’un tel investissement (cf. Fabrice), de protection contre une intrusion parentale, l’objet transitionnel devenant le premier objet mettant à distance l’autre (cf. Linda).

Tout simplement, l’objet transitionnel est « consensuel » (M. Pinol-Dourriez et D. Meltzer). Consensuel dans le sens « il permet du côté de l’enfant, l’articulation dynamique de plusieurs sens, à partir de la surface d’inscription qui est offerte ». La situation traumatique dans ce « transmis par un don psychique » met à mal l’enfant confronté à un don anonyme, symbolisé par le décès d’une personne lui sauvant la vie, externe à la cellule familiale, ou par un don parental qui renforce la dette initiale d’avoir donné la vie et d’avoir combattu la mort pour lui.

Dans la scène brève retranscrite sur l’objet transitionnel, Nathan déploie sur son « chien » des sentiments de haine et d’amour, de violence et de tendresse. Cette dualité des sentiments ne peut s’exprimer qu’en raison de la neutralité de l’objet. Cette possibilité de détruire tout en maintenant une permanence à l’objet, l’enfant transplanté l’utilise en pansant, soignant à chaque hospitalisation durant des années cet objet transitionnel toujours présent. Cette constance apporte dans cet univers hospitalier inconstant (changement d’équipes, de rythme…) une sécurité rassurante et une protection contre la perte.

Ce « first no me possession » rassure l’enfant transplanté qui justement se caractérise par cette faille. Une absence de possession constante ou tout du moins, adoptée, d’élaboration sur cette absence/présence. Pour Nathan, son « chien » est la seule possession rassurante et constante qu’il connaisse (identifie). On peut voir dans ce chien sans nom une double figure, chien abandonné mais aussi chien qui retrouve toujours son chemin jusqu’à son maître, chien gardien des secrets.

Cet objet transitionnel permet donc la première construction d’un Moi de l’enfant l’ouvrant aux représentations et l’inscrivant dans une chaîne générationnelle.

Les objets médiateurs s’élaborent dans le partage de sa conflictualité avec un autre. Ce tiers, le psychologue, est suffisamment distancié de la problématique de l’enfant pour être investi dans un partage d’une expérience vécue. Il ne fait pas partie de l’unité familiale, ni de l’équipe soignante. Cette distance dans l’écoute corporelle, mais aussi une certaine neutralité favorise la mise en jeu de l’intrapsychique et de l’intersubjectif. Nous aurions voulu exposer d’autres situations mais toutes concourent à la même observation, une expression du vécu de transplantation dans la relation à soi et à l’autre en raison de cette opération chirurgicale.

L’importance serait à notre avis de permettre aux enfants en âge de dessiner d’élaborer la représentation du dessin du bonhomme ou un dessin libre avant la transplantation afin de mettre des mots, puis en post-transplantation de la réitérer. Ce dessin viendrait éclairer la problématique de l’enfant dans les processus inter et transgénérationnels.

Serge Tisseron, lui-même, voyait dans l’activité spontanée du dessin : « un indicateur privilégié dans des traces laissées dans le psychisme par des tensions et des conflits psychiques inassimilables par les parents et concernant leur propre histoire. C’est-à-dire que le dessin spontané pourrait être, autant que le reflet des désirs propres du sujet, le reflet de l’inconscient familial tenu à l’écart des processus de pensée et d’échanges pour des raisons liées au caractère dangereux pour la topique familiale des représentations et des émotions concernées . »196

Il faut aider les parents à reformuler à leur enfant ce qui est entrain de se jouer dans leur histoire individuelle et familiale en raison de cette transplantation. Vis à vis des nourrissons, il faut aider à la circulation de la parole pour favoriser une verbalisation des affects qui sont des secrets de polichinelle. La mère d’Alice en est l’archétype. Mme ne met pas de parole sur la cicatrice de sa fille, cicatrice qui barre leur ventre de part en part. « La parole vraie » que préconisait F. Dolto est la base d’une intégration pour l’enfant du vécu de transplantation dans les enjeux générationnels soulevés.

Quant à l’objet de relation, nous avons formulé l’hypothèse qu’il est utilisé par plusieurs personnes en un même espace/ temps. L’importance de cet objet est sa capacité à indiquer aux équipes les moyens de comprendre la situation dans laquelle ils sont impliqués en mettant à distance le réseau relationnel dans lequel le groupe est engagé. L’objet de relation restitue comme l’affirmait M. Thaon : « l’état de la relation à un moment donné de la rencontre ».197

C’est cette force intrinsèque de l’objet qui nous a interpellés. Nous avons constaté, à travers l’étude d’Hélène, comment l’objet de relation a subi des modifications psychiques et physiques pour l’ensemble du groupe. L’existence de l’objet de relation comme pare-excitation dans cette situation clinique est nécessaire et évite une explosion d’affects incontrôlables qui rendrait toute relation caduque, allant même jusqu’à la rompre. L’objet va être un double de l’ensemble de l’entité groupale métaphorisant l’impasse commune des protagonistes dans la situation d’Hélène. Cette mise en acte par un intermédiaire, l’objet, déplace des affects violents, réorganise les émotions en évitant tout débordement.

‘« Un mouvement de cocréation à l’intérieur d’un espace où chacun trouve sa place.198»’

Ces objets fonctionnent à un niveau individuel par l’objet transitionnel et interroge le sujet en fonction de lui-même et dans sa relation aux autres. Le processus est l’élaboration de l’interne et de l’externe sans renvoi à autrui. A un niveau dyadique, l’objet de médiation instaure l’élaboration d’un échange du penser entre deux protagonistes. Il s’agit d’une confrontation de la représentation et du symbolique. A un niveau groupal, l’enfant transplanté se construit à travers ce double réseau parents/équipe médicale. La création d’un objet de relation commun d’échange est l’intermédiaire entre les représentations individuelles et groupales de chacun, unifiant celles-ci dans une représentation commune de « l’ici et maintenant ».

Nous sommes parvenus aux croisées des chemins sur le vécu actuel des enfants transplantés et précédemment des parents. Nous allons conclure notre débat par une synthèse des travaux ainsi qu’une perspective théorico pratique.

Notes
1.

96 Tisseron S. (1996), “Généalogie, honte et transfert ”, p 138.

1.

97 Thaon M. (1988), “Caractéristiques et fonction des objets de relation”, p 16.

1.

98 Gimenez G. (2002), “Les objets de relation”, 102.