ANNEXE 4
Situation d’Alice

Bref rappel :

Le rendez-vous pour l’entretien psychologique a été organisé. M. A n’est pas présent, seule Mme est venue pour le bilan de contrôle annuel avec ses deux filles.

Cependant, à l’heure du rendez-vous, Mme est introuvable dans le service. Nul ne sait où nous pouvons la trouver. Nous supposons sa présence dans les murs de l’hôpital puisque Alice est toujours présente dans la salle de jeux.

L’absence de Mme se prolongeant, je décide de mettre à profit ce temps pour observer Alice et sa sœur, hors entretien, en situation de jeux.

Rencontre avec Alice et Emilie : de la poupée au puzzle

Les deux filles A jouent dans la salle de jeux en attendant le résultat des analyses de contrôle d’Alice avant de retourner chez elles.

Seules les deux petites filles et l’animatrice bénévole sont présentes. Aucun signe distinctif tel que ventre proéminent n’est observable. Elles se distinguent par leur apparence physique : l’une a un aspect maladif, fragile et triste et l’autre volontaire, un visage serein, joufflu et le teint rosé.

A mon entrée dans la pièce, la première petite fille interrompt son activité et recherche par le regard à interpeller l’adulte. La seconde est indifférente à la présence d’une nouvelle personne dans la pièce et poursuit son jeu sans se préoccuper de cette intrusion. C’est ainsi que j’ai pris la petite fille triste pour Alice.

Alice est une petite fille de 3 ans, tonique, éveillée, indépendante dans sa manière d’appréhender et d'agir dans une situation de jeu, c’est-à-dire volontaire et agissant à sa guise. Elle est occupée à réaliser un puzzle et rien d'autre ne la distrait de l'objectif fixé. Elle reste imperturbable face à sa tâche.

La sœur d’Alice, Emilie, âgée de 6 ans est au contraire en recherche d’une présence, d’un cadre étayant, réparateur, sécurisant, maintenant un narcissisme fragile et une hypersensibilité. Son visage exprime de la tristesse. On ressent chez cette enfant un désir d’une présence adulte pour s'occuper d'elle dans le jeu afin de partager « quelque chose » avec elle.

Elles jouent toutes les deux séparément, à l’opposé l’une de l’autre dans la pièce, avec des activités fort différentes. Alice reconstruit un puzzle et Emilie tient un poupon dans ses bras qu’elle est en train de bercer.

A mon arrivée, comme nous venons de l’expliquer, Emilie lève la tête et son regard m’interpelle. Je me dirige vers elle sans oublier auparavant de solliciter l’autre enfant sur la construction de son puzzle, qui, sans un regard, poursuit mécaniquement sa tâche.

Je présente ma fonction et Emilie me propose de jouer au docteur.

Emilie : « On va faire comme si ma poupée était malade. Toi, tu la soignes et moi je suis la maman. »

Je lui propose de m’expliquer ce qu’elle désire soigner chez sa poupée tout en reprécisant mes compétences dans l’écoute psychique et non corporelle. Je lui propose de m’expliquer la maladie de sa poupée et « je serai là pour t’aider ».

Emilie : « Ca me va. Je suis le docteur et toi, tu m’aides.  (…) Tu vois ma poupée, elle a mal à la tête, elle est malade. Il faut lui faire un pansement mais moi je ne peux pas le faire toute seule, il faut que tu m'aides ».

Je maintiens la bande pendant qu’elle tente de mettre le pansement autour de la tête de sa poupée, ses mains effectuent un geste nerveux et ne parviennent pas à fixer le bandage.

Emilie : « Je n’y arrive pas. »

Je l’aide dans cette tâche.

Avec un sourire, Emilie s’écrit « Ca y est ! ! ! J’ai réussi, il tient tout seul. »

(…) un peu plus tard

Emilie : « Elle dort, chut (fait le geste) (…) Elle se réveille. (…) Elle a toujours mal. (…) Elle est toujours toute seule. »

Elle met en scène sa poupée qui se réveille et se retrouve toute seule. Elle répond à mes renvois « Il n’y a pas la maman. Elle est partie. Elle ne sait pas où, ni si elle va revenir un jour et que la petite fille est très triste ».

La poupée laisse place progressivement à une petite fille ce qui nous permet d’accéder à Sa propre histoire de solitude durant la transplantation de sa sœur. Alice reste durant tout l’échange le regard rivé sur son puzzle. J’amorce une interprétation sur le jeu avec sa poupée où Emilie s’est sentie très seule durant l’absence de sa maman à l’hôpital car elle aurait souhaité que quelqu’un mette un pansement pour ne plus « avoir mal dans son cœur ». 

(…) plus tard en fin de jeu…

Elle reprend la poupée me demande de la bercer puis me la reprend et enlève le pansement et rejoint l’animatrice bénévole en lui demandant un jeu de l’oie. Je me dirige vers Alice restée toujours silencieuse pendant qu’Emilie joue, détendue, volubile et souriante avec l’animatrice.

Alice se refuse à rentrer en communication avec l’adulte par la parole. Seules les pièces du puzzle serviront d’objet médiateur permettant un échange.

En touchant les pièces éparses sur la table, j’en saisis une. Alice me tend la main pour la prendre et la remet à sa place sur le puzzle. Son geste est nullement agressif mais m’introduit dans son jeu non verbal. Puis, pièce après pièce, elle construit le puzzle en prenant une à une les pièces dans le creux de sa main. Lorsque le puzzle est achevé, sans affect particulier, elle me demande, non verbalement mais par un petit geste, de changer de jeu.

Mon intervention s’est limitée à ce geste, observant le comportement de l’enfant suite aux propos échangés avec sa sœur. Ce puzzle où des pièces éparses retrouvaient progressivement une place et redonnant un sens au dessin figuré, n’est pas sans assimilation à ce morceau de foie donné et le besoin en post-transplantation de remettre chaque pièce à sa place pour redonner une unité structurée. Cependant, le choix de ne pas intervenir dans une mise en sens du jeu d’Alice était en lien avec ma place de chercheur - clinicien. De plus, notre échange non verbal s’était organisé selon un accord tacite où l’enfant pouvait élaborer. La parole n’étant pas à ce moment là un médiateur judicieux.

Le fait de vouloir changer de jeu montrait qu’elle ne pouvait élaborer davantage dans l’instant présent.