1.1.4.4 Caractérisation par analogie

Bien entendu, chacun est conscient que la forme utilisée par Conrad était la narration (romans et nouvelles), tandis que la Poétique d’Aristote applique la « praxis unifiée », le « changement de la bonne à la mauvaise fortune » et « l’intrigue simple », non pas à l’épopée, qui est « narrative » également (Poétique, 5, 49b12), mais à la tragédie, qui a à se préoccuper de représentations théâtrales (Poétique, 7, 51a6) rendant impossible pour le dramaturge « d’imiter les différentes parties de l’action menées simultanément » et ne l’autorisant à représenter « que celle qui implique les acteurs en scène » (Poétique, 24, 59b24-26) 32 , contrainte qu’ignore le romancier.

Mais la question n’est pas de prétendre que Conrad écrivait des tragédies grecques, bien qu’il s’intéressât de près au monde antique en général, et hellénique en particulier, citant non seulement l’Odyssée dans le détail 33 , mais également les Moralia de Plutarque (Conrad 1906a, p.151), dans des passages du Mirror of the Sea qui ne doivent rien à Ford Madox Hueffer, de sorte qu’il eût ainsi pu se référer consciemment à Aristote.

La question est de caractériser son approche du temps, et de souligner qu’elle est aussi contraignante pour lui qu’elle pouvait l’être pour Eschylle, Sophocle ou Euripide.

En d’autres termes, la question est de résumer la perception que Conrad a du temps grâce à une « métaphore par analogie », comme Aristote lui-même la nommerait (Poétique, 21, 57b6-9) 34  : Conrad est à Maupassant ce qu’Euripide était à Homère. Alors que son aîné ne connaissait aucune « restriction de temps » (Poétique, 5, 49b14) 35 , Conrad « essaie autant que possible de rester dans une unité » temporelle cohérente (Poétique, 5, 49b12-13) 36 .

Notes
32.

διàτò’εν μèν τñ τραγωδία μñ’ενδέξεσθαι ‘άμα πραττóμενα πολλà μέρη μιμεîσθαι ’αλλà

τò’επì τñ σκηνñ καì τϛν ‘υποξριτϛν μέρο μóνον·

33.

(Conrad 1906a, pp.151-152, 154, 163 & 183).

34.

μεταςορà[...] κατàτò’ανάλογον.

35.

’αóριστο τϛ ξρóνω

36.

‘η μèν ‘óτι μάλιστα πειρâται ‘υπò μίαν περίοδον ‘ηλίου ’εîναι