2.2.3 Les chronotopes incluent aussi l’espace !

Encore faut-il, pour ne pas réduire la portée du concept, insister sur un dernier point, évident mais souvent négligé : les chronotopes n’ont pas affaire qu’au temps, ils s’ancrent dans l’espace également.

Il faut y revenir, car de nombreux essais inspirés de Bakhtine mériteraient le même reproche de la part du maître : « on a surtout analysé les relations temporelles en les séparant des relations spatiales, qui leurs sont obligatoirement liées » (Bakhtine 1973, p.398).

Ceci peut être dû à une lecture trop étroite de phrases comme : « c’est le temps qui apparaît comme principe dominant des œuvres littéraires » (Bakhtine 1938, p.238) ; ou « nous concentrerons notre attention sur le problème du temps (principe premier du chronotope) » (Ibid., p.239).

Mais de plus amples lectures ne peuvent laisser aucun doute.

‘The main features of [Gœthe’s] visualization are the merging of time (past with present), the fullness and clarity of the visibility of the time in space, the inseparability of the time of an event from the specific place of its occurrence (Localität und Geschichte). (Bakhtine 1937, p.41)’

De même, dans l’idylle, le chronotope général se caractérise par

‘l’adhésion organique, l’attachement d’une existence et de ses événements à un lieu – le pays d’origine – avec tous ses recoins, ses montagnes, vallées, prairies, rivières et forêts natales, la maison natale. La vie idyllique et ses péripéties sont indétachables de ce ‘coin’ concrètement situé dans l’espace, où vécurent pères et ancêtres, où vivront enfants et petits-enfants. (Bakhtine 1938, p.367)’

De plus, les problèmes que Bakhtine regrette de laisser de côté, nommément les questions de genèse 84 , ne peuvent être abordés que par l’étude du traitement de l’espace chez un auteur, et non par l’étude de son traitement du temps 85 .

Notes
84.

« Nous laisserons de côté presque tous les problèmes d’ordre historique et génétique. » (Bakhtine 1938, p.239). « [L’analyse] de l’œuvre de Rabelais nous contraint de renoncer à tous les problèmes relatifs à sa genèse » (Bakhtine 1938, p.313).

85.

C’est du moins ce qui apparaît dans le cas d’un auteur « pour la jeunesse » comme Georges Bayard, ainsi que je l’ai montré ailleurs (Tourchon 2002).