2.3.2 L’objection de l’icône

Selon Susan Stewart cependant, Bakhtine eût rejeté même la sémiotique peircéenne, parce que :

‘Peirce’s theory of iconicity assumes an actual physical referent to which the sign-vehicle corresponds. In contrast, Bakhtin clearly distinguishes between the mechanistic and pragmatic functions of signals and the cultural or ‘polyvocal’ functions of signs : ‘The process of understanding is on no account to be confused with the process of recognition’ (Stewart 1986, p.47). ’

Notons tout d’abord que la citation utilisée sur « understanding » versus « recognition » n’est pas de Bakhtine, mais de Voloshinov (1929, p.68), bien que Susan Stewart semble adhérer à la théorie selon laquelle Bakhtine aurait écrit tous les textes de son « Cercle » :

‘The powerful critique of ‘language’ offered in Marxism and the Philosophy of Language [Voloshinov 1929] is supplemented throughout the rest of his [= Bakhtin’s] works (Ibid., p.46). ’

Peu importe au demeurant : l’iconicité peircéenne est-elle incompatible avec le signe, le « mot », bakhtinien (Bakhtine 1929) ? Ni Bakhtine, ni Voloshinov, ni Peirce, ni Umberto Eco, ne s’occupent de « (i) la nature iconique de la perception, (ii) la nature fondamentalement iconique de la connaissance en général » (Eco 1997b, p.347) : « Je tiens le point (i) pour acquis, sans même le discuter, [et] je ne me compromets guère sur le point (ii) » (Ibid., p.348).

Ce qui compte, c’est le point (iii) : « La nature des signes dits iconiques, c’est-à-dire des signes que Peirce appelait des hypoicônes » (Eco 1997b, p.347). Peirce n’a jamais dit que tout signe était iconique, et il n’a jamais « confondu l’iconisme (en tant que moment perceptif) avec les hypoicônes » (Eco 1997b, p.351) :

‘Si, par icône, on entendait un ‘signe iconique’ (et donc pour Peirce une hypoicône, dont il n’a jamais nié la composante ‘symbolique’, c’est-à-dire largement conventionnelle), dire qu’il avait les propriétés de l’objet représenté apparaissait comme une façon de mettre les signes dans un rapport direct (et naïf) avec les objets auxquels ils se référaient, en perdant de vue les médiations culturelles auxquelles ils étaient subordonnés (pour le dire en un mot, en traitant comme Firstness [comme Objets Dynamiques] des phénomènes de Thirdness [des Objets Immédiats, déjà pris dans le processus interprétatif]). […] Le présupposé presque indiscuté selon lequel les hypoicônes renvoient à leur objet par ‘ressemblance originelle’, sans la médiation d’un contenu, était une façon de faire pour réintroduire dans les sémiotiques visuelles ce fil direct entre signe et référent qui, avec une brutalité peut-être chirurgicale, avait été extirpé des sémiotiques du langage verbal (Eco 1997b, p.351-352) 86 . ’

Le cas particulier des hypoicônes ne peut donc être retenu comme preuve d’incompatibilité de la sémiotique peircéenne avec le « mot » bakhtinien : les problématiques en sont par trop disjointes.

Notes
86.

Umberto Eco parle de « (i) la natura iconica della percezione, (ii) la natura fondamentalmente iconica della conoscenza in generale, e (iii) la natura dei segni cosiddetti iconici, in altri termini di quelli che Peirce chiamava [...] le ipoicone », ajoute « io dia per scontato, senza discuterlo, il punto (i), non mi comprometta sul punto (ii) » (Eco 1997a, p.297), et conclut que Peirce n’a jamais confondu « l’iconismo (come momento percettivo) con le ipoicone. Se per icona si intendeva un ‘segno iconico’ (e dunque per Peirce una ipoicona, di cui egli non ha mai negato la componente ‘simbolica’ ovvero ampiamente convenzionale), dire che aveva le proprietà dell’oggetto rappresentato appariva come un modo di mettere i segni in un rapporto diretto (e ingenuo) con gli oggetti a cui si riferivano, perdendo di vista le mediazioni culturali a cui erano sottoposti (in poche parole, trattando come Firstness fenomeni di Thirdness). […] Il presupposto quasi indiscusso che le ipoicone rinviassero per nativa somiglianza al loro oggetto, senza la mediazione di un contenuto, era un modo per reintrodurre nelle semiotiche visive quel filo diretto tra segno e referente che, con brutalità forse chirurgica, era stato espunto dalle semiotiche del linguaggio verbale » (Eco 1997a, p.300).