Au demeurant, il n’est pas du tout certain que le devenir de l’homme tel qu’il est présenté dans The Shadow-Line soit purement individuel, « cyclique ».
Car le moins que l’on puisse dire, c’est que les hommes d’équipage non plus ne sortent pas inchangés de leur mésaventure, entre leur montée sur le bateau à Bangkok et leur descente à Singapour. Malades un instant attendus comme des blessés (« They had expected surgical cases » (p.300)), ils sont les rescapés d’une bataille rangée contre une adversité vague mais féroce (celle-là même contre laquelle le narrateur se « révolte » (cf p.302 citée supra)).
Le vocabulaire militaire n’est pas employé ici par hasard : le narrateur lui-même file une métaphore similaire quand il dit de Ransome qu’il risque d’expirer « in the act of putting out his strength – for what ? Indeed for some distinct ideal » (p.300), ou quand il dit de Burns « I am very proud of him » (p.301). Se battre pour un « idéal » et être récompensé par un « Soldats ! Je suis content de vous ! » sont de ces phrases que des générations de conscrits ont entendues au combat.
De ces phrases qui sont comme un point d’orgue dans une partition où les hommes sont « knocked over », c’est-à-dire renversés (et pas seulement atteints) par la maladie (pp.257, 270, 283, 289) ; où les adversaires sont « embusqués » (« ambushed », pp.257, 263, 268) ; où l’on mentionne sans cesse un « enemy » (pp.258, 282, 283, 290) et des conditions adverses (« adverse », p.270 ; « adversity », p.271) ; où l’on soupçonne des « pièges » (« poisonous trap », p.260) ; où l’on a le sentiment de se battre (« inglorious fight », p.261) ; où l’on se sent attaqué (« attacked », p.271) ; où l’on perd du terrain (« lost ground », p.269) ; où l’on défend « ses arrières » (« pressed on our rear », p.270 (arrières qui ne sont pas simplement la poupe du navire, puisque c’est la maladie qui presse ainsi)) : le vocabulaire de l’affrontement est lui aussi lancinant dans ce récit.
(Winter 1988, p.7).