3.3.6 Polyphonie dans The Shadow-Line

Malheureusement, si la polyphonie est l’expression non hiérarchisée de discours dissonants, alors le roman de 1916 semble bien au premier abord ne pas y souscrire.

En effet, lu du point de vue de Bettelheim ou de Lacan, le texte ne garde aucune ambiguïté : il faut mûrir, il faut sortir de la position infantile d’un Burns, il faut prendre ses responsabilités sans se référer à quiconque, autrement dit il faut acquérir un surmoi intégré. La voix de Ransome est à cet égard nettement supérieure 118 , la voix de Burns, au surmoi narcotisé, est clairement critiquée, et des multiples voix du narrateur, seule est ferme celle qui exprime l’option pragmatique. Auparavant, il ne peut que tenter de faire taire les voix aliénantes : « I felt the inexpugnable strength of common sense being insidiously menaced by this [...] insane delusion. And I said : ‘You mustn’t talk so much. [...]’ » (Conrad 1916a, p.268). La démonstration est univoque.

De même, les options sémiotiques sont loin d’être équivalentes. L’attitude peircéenne est mise en valeur tandis que l’épi- et l’a-sémiosis sont condamnées sans appel. De ce point de vue encore, une évidente hiérarchie est établie. Si bien que, sur la question du « surnaturel » aussi, la voix de l’auteur domine toutes les autres dans son refus vigoureux de laisser son imagination divaguer « beyond the confines of the world of the living, suffering humanity » (Conrad 1920b, p.207) : la relation dialogique « spiritiste », ou celtique, à Coleridge, n’est qu’un leurre.

Notes
118.

Au point que John Batchelor a pu soutenir que c’était lui le « true hero » (Batchelor 1994, p.249).