Le seul qui ne s’engloutit pas dans l’univers de Coleridge est finalement Ransome, ce qui serait une deuxième raison de le considérer comme le « true hero » du roman. Le narrateur lui-même, par ses louanges constantes, semble donner au cuisinier une place prépondérante. Et l’attitude de ce dernier, détachée des urgences de ce monde, confirme ce statut singulier.
Il est même nettement « socratique » lorsqu’il préfère le « je ne sais pas » aux opinions hâtives : « Ransome didn’t know [whether Burns was talking nonsense or not]. And with a faint smile he flitted away from me. » (Conrad 1916a, p.268). Ce serait d’ailleurs là aussi bien une position digne de Sextus Empiricus : « J’examine. » (Σκεπτομαἰ; « Je suspens mon jugement. » (Επέξω) (Hypotyposes pyrrhoniennes I, 26 & 23).
Ransome serait donc un être (philosophique) accompli si sa « sagesse » était adaptée au monde où il évolue. Or, sa position comporte deux failles, d’inégale importance.
Ainsi, la voix de Ransome ne parvient-elle pas non plus à dominer les autres : il est sage, sans doute, mais pas jusqu’au bout. Sa « peur bleue » devant la mort par exemple (« I – I am in a blue funk about my heart, sir » (p.305)), en fait un « philosophe » bien imparfait !