4.2.1.4 Incohérence, ou polyphonie ?

Il est hors de doute cependant que « the narrator of the tale has a peculiarly protean identity » (Watts 1986, p.xix). Mais c’est comme narrateur immanent qu’il peut tour à tour être « lyrique » ou « détaché », selon les termes employés par Lothe et Watts dans leur classification sous les entrées 3c et suivantes. C’est parce qu’il est immanent (et non transcendant) qu’il peut « précipiter » (dirait-on en chimie) en narrateur collectif, et se mettre à dire « we », « us », « our », à partir de la page 24. C’est cette même immanence qui l’autorise en outre à entrer dans l’esprit de l’un ou l’autre des personnages pour en révéler les pensées intimes…

Le narrateur, pour protéiforme qu’il soit, est donc tout sauf incohérent, et c’est un abus que de désigner une quelconque « inconsistency of narratorial identity » (Watts 1986, p.xix) comme un « défaut », « a flaw » (Ibid., p.xvii), du texte.

Bien plutôt s’agit-il d’un cas particulier de polyphonie, où toutes sortes de voix s’expriment sans qu’aucune ne domine, surtout pas celle du narrateur, qui, par son immanence même, se condamne à être tout entier un vaste discours rapporté : il faudra la dissolution du groupe pour qu’il investisse un « I » (Conrad 1897a, p.127) dont on ne saura jamais rien.