4.3.6 En mal d’émergence.

Du point de vue sémiosique donc, Marlow n’évolue pas le moins du monde : sémio-dislocateur il était lors de son embarquement sur la Judea, sémio-dislocateur il reste quand le bateau coule sous ses yeux quelque part dans le Nán Yáng. On ne peut guère parler ici d’émergence individuelle. Les raisons qui permettraient de comprendre que « the young Marlow undergoes a rite of passage from which he emerges a more self-possessed and fully-formed person than he was at the narrative’s beginning » (Batchelor 1994, p.77), nous échappent.

Comme nous échappent les raisons qui conduisent à cette surprenante affirmation : « The ‘meaning’ of ‘Youth’ does not have to be worked for. » (Ibid.)

Hypothèse de travail étonnante, car le sens historique du texte n’est pas si apparent qu’il n’ait fallu le « creuser » quelque peu.

Or, l’histoire britannique est elle-même assez « non-émergente » dans la période 1876-1897 qui s’étend d’un couronnement à un jubilée : une fois Victoria promue Empress of India, l’Empire flotte bon gré mal gré, parfois battu par les flots, mais surnageant toujours.

De l’auto-complaisance en 1898 pourrait cependant résulter quelque désastre : ne pas lire à temps les signes de « points chauds » menaçant l’Empire, oublier les leçons que l’encyclopédie du passé a enregistrées, serait aussi fautif que d’en appeler ou de s’en remettre au destin. L’Angleterre de 1898 ne peut tolérer la dislocation sémiosique politique d’un Lord Salisbury, lui qui n’interprète pas les signes pourtant affichés par les Russes en Mandchourie, et croit encore pouvoir opérer un rapprochement avec eux : la non-émergence britannique pendant deux décennies ne veut pas dire que rien n’émergera plus jamais, que la paix pourra toujours se maintenir, que le temps s’est arrêté.