4.3.9 Bilan : le chronotope du pessimisme

L’insistance, parfois pesante, sur l’homéostase dans ‘Youth’, n’est donc pas gratuite. Elle va de pair avec une non-émergence historique montrée comme alarmante, ce qui donne sa portée à une nouvelle qui ne se réduit ni à une anecdote recuite au four à fiction, ni à un roman sophiste où le voyage « symbolise la marche du pèlerin engagé sur le chemin de la vie » (Thomas 1985, p.1241). ‘Youth’ vise à l’épaisseur chronotopique, avec ce que cela suppose d’espace (aboutissant au Nán-Yáng), de temps (même statique), mais aussi de (non-)devenir humain, de polyphonie et d’histoire.

Le chronotope homéostatique est d’autant plus « plein » qu’il porte nettement la marque d’un esprit inquiet : il est intimement lié, non aux événements du passé de l’auteur, mais à ses craintes présentes : pour sa première apparition, Marlow semble être à l’image de Conrad Korzeniowski. Vus de Grande-Bretagne, les enjeux politico-historiques en 1898 sont trop écrasants pour que la fiction prenne un ton détaché. La voix qui veut crier « au feu ! » est trop affolée pour ne pas s’exprimer sous la voix assurée du Devoir.

Quoi qu’il en soit, si les occurrences de l’émergence et de la polyphonie fluctuent dans les œuvres marines de Conrad, le procédé créatif qui consiste à renverser les clichés littéraires se confirme. Non seulement toutes les « Calm-pieces » (‘The Black Mate’, The Shadow-Line, ‘The Secret Sharer’, ‘Smile of Fortune’, Lord Jim I) sans exception accélèrent le temps (par énallage ou par tachychronie), mais, on le voit, toutes les « Storm-pieces » (‘Typhoon’, The Nigger of the ‘Narcissus’, ‘Youth’), sans exception, le ralentissent (par effet stroboscopique, par force centripète, ou par homéostase).