4.4.2 Continuité & renversements

Le lien le plus manifeste entre le ‘Tether’ et ‘Youth’ est bien entendu la parution des deux nouvelles dans le même recueil, Youth : A Narrative and Two Other Stories, le 13 novembre 1902. Conrad dira bien en 1917 que « the three stories in this volume lay no claim to unity of artistic purpose » (Conrad 1917d, p.619), et n’a songé que fort tard, quand décidément Lord Jim prenait des proportions démesurées, à remplacer ce qui devenait à l’évidence un long roman par un récit plus adapté aux exigences d’un recueil de trois « contes ». Mais il demeure que les critiques sur ce manque d’unité sont mal reçues de lui : ne prend-il pas la peine, le 7 février 1924, dans une lettre à F. N. Doubleday, de défendre la place de ‘The End of the Tether’, en troisième position dans le recueil, au motif que cette histoire de décrépitude ne peut qu’être racontée après celle du débutant Marlow (‘Youth’) et celle de l’homme mûr (‘Heart of Darkness’) (Conrad 1924d, p.338) ?

Quand ce ne serait qu’une ultime coquetterie d’écrivain soucieux d’approbation, cette « correction » de la ‘Note’ introductrice de 1917, qui compense l’aveu d’absence d’unité « artistique » par une insistance sur une unité « thématique », en constitue la dernière version revue par l’auteur, et prend de ce fait l’importance que tout éditeur accorde d’ordinaire aux annotations autographes, même marginales. Mais qui plus est, la lettre de 1924 ne fait que reprendre ce que Conrad disait déjà en 1902 à propos du ‘Tether’, avant sa publication : « It shall be maritime stuff in the manner of Youth and H[eart] of D[arkness] » (Conrad 1902d, p.376).

Mais alors, si lien thématique il y a, ne pourrait-on en supposer un aussi entre le ‘Tether’ et The Nigger of the ‘Narcissus’ ? Si les matelots du Narcissus en effet étaient déchirés entre deux codes de conduite contradictoires (celui, marin, du devoir et celui, chrétien, de l’empathie), le capitaine Whalley semble l’être aussi : il a apparemment bien du mal à concilier son devoir de capitaine et son devoir de père. En tant que marin, il ne lui appartient pas de rendre le bateau qu’il commande « unseaworthy » (Conrad 1902c, pp.256 & 258) à cause de sa cécité. Mais c’est en tant que père qu’il s’est d’abord placé dans une situation qui le force désormais à continuer de naviguer coûte que coûte. Les deux codes, aussi attestés l’un que l’autre, semblent entrer ici aussi en concurrence.

Cependant, les perspectives ont changé entre 1897-1898 et 1902.

La continuité avec ‘Youth’ était déjà plus de l’ordre du renversement (de la prime jeunesse en décrépitude) que du prolongement.

Mais même le dilemme affronté par Whalley n’est plus du même ordre que celui qui troublait les marins du Narcissus. Car le code paternel qui entre en apparente concurrence avec le code maritime chez le capitaine du Sofala, ne s’applique pas sans soulever quelques difficultés.