4.4.6 Chronotope homéostatique

On le voit donc finalement, un chronotope se dessine à nouveau qui associe à une variété originale de schizo-sémiosis une homéostase marquée, et rappelle donc clairement les caractéristiques du Nán Yáng de ‘Youth’, de cette région située ici entre un Singapour que Conrad ne nomme jamais mais que chacun reconnaît, et des lieux dont les noms à consonance malaise (« Batu Beru », « Pangu ») confirment l’appartenance géographique.

Nous sommes cette fois cependant coupés du Royaume-Uni. Le « repli » vers la mère patrie est devenu impossible : Massy en manque l’occasion (« everybody expected now that he would take himself off home with his money » (Conrad 1902c, p.188)) parce qu’il songe à prendre sa revanche sur place (« nobody could put him out now » (Ibid.)) ; la fille de Whalley encore enfant retourne bien pour un temps en Angleterre (« in due course [Mrs Gardner] took her to England » (p.166)), mais « her own home » par la suite se situe en Australie (Ibid.), et encore n’est-ce qu’une boarding-house, « no sort of home though it may get you a living » (p.171) ; le capitaine quant à lui résume sa situation par un laconique « no ship – no home » (p.171) ; et les officiers du Sailor’s Home à Singapour sont tous, selon Ned Eliott, « frightened to go home. Nice and warm out here to lie about a verandah waiting for a job » (p.184).

L’homéostase qui faisait hésiter les marins de ‘Youth’ à quitter les eaux territoriales britanniques en 1898, se retourne donc en réticence à quitter l’Asie en 1902. L’esprit conquérant, l’idéal impérialiste, vacillaient en 1898, mais le sentiment d’appartenance à un pays sauvait encore les apparences. En 1902, même cette enveloppe se vide. Les temps sont venus où plus aucun des discours glorieux ou satisfaits n’est en mesure de convaincre.