4.4.6.3 Le temps des retournements

Si les discours naguère pragmatiques aujourd’hui se vident, si les fonctions référentielle et conative se muent en fonctions émotive et méta-linguistique, les « valeurs » portées par ces discours ne peuvent non plus rester intactes.

Whalley certes ne fait pas que refouler son désir d’inceste. Sa résistance, par respect du code paternel, à sa première impulsion (« here’s your old father : you must take him too.’ » (Conrad 1902c, p.174, cité supra)) relève aussi de la sublimation du désir incestueux en homéostase sacrificielle : le capitaine doit désormais être « ready for her sake to live for ever » (Conrad 1902c, p.257). Mais un tel sacrifice ne peut s’opérer qu’une fois. Quand un autre code, celui du marin, vient exiger de lui qu’il sacrifie ses 500 livres pour ne pas rendre le Sofala « unseaworthy », Whalley le transgresse par homéostase. Ce retournement éthique accompagne alors le retournement de la clairvoyance (il a su jadis imaginer et prévoir toutes les conséquences d’un retour chez sa fille) en cécité.

Il est vrai qu’à l’inverse, Massy au temps de sa richesse ne sublime aucun désir. Désire-t-il seulement ? Il ne sait que répondre à sa Weltanschauung paranoïaque. Ainsi, par manque de vision sur ce que lui permettrait de faire sa fortune (« everybody expected now that he would take himself off home with his money » (Conrad 1902c, p.188)), il s’enferme dans l’homéostase et reste chef mécanicien, pour défier les capitaines de le chasser de son poste : « nobody on earth could put him out of his engine-room now » (Ibid.). Il se prive de facto de toute liberté de quitter volontairement sa salle des machines. Il faudra que sa cécité intellectuelle se retourne en vision d’un avenir oisif, pour que le désir de vivre en millionnaire, dans « the absolute idleness of wealth » (Conrad 1902c, p.233), naisse. Ici encore l’homéostase se fait alors entrave au désir. Entrave, non pas consentie, voire érigée en rempart comme chez Whalley ; entrave importune, qui ne fait que porter à son comble l’impatience de Massy, mais entrave toujours : par homéostase, Massy est condamné à chauffer ses machines éternellement. Son aveuglement personnel une fois surmonté, il devient plus clairvoyant (« clear-eyed », p.236) à propos de Whalley, mais cela ne le conduit qu’à un dessein de fraude aux assurances : ignorant tous les codes, y compris financiers, il n’en apprend que ce qui peut nourrir chez lui l’espoir de les transgresser.

Comme si l’émergence ici s’orientait vers un point de fuite : Whalley, naguère sublime dans sa victoire sur l’inceste, transgresse aujourd’hui le code du marin pour 500 livres. Massy, naguère délirant dans sa « victoire » qui l’enferme entre deux chaudières, maintenant se surpasse et reprend conscience de certaines nécessités matérielles (« he needed every penny of profit the Sofala could make » (Conrad 1902c, p.232)), ce qui le fait convoiter ces mêmes 500 livres que tente de sauver Whalley. Esaü et Jacob s’épient pour le même plat de lentilles.