4.5 Bilan des chapitres 3 & 4

On ne sait dans quelle mesure Ford Madox Hueffer est intervenu dans la rédaction de ‘The End of the Tether’, en particulier après la destruction partielle du manuscrit par une lampe à pétrole (Batchelor 1994, p.82) 193 . Mais qu’à cela ne tienne : il n’a manifestement pas « créé » la structure de la nouvelle, qui s’accommode trop bien du Conrad « marin » observé jusqu’ici.

Non seulement en effet le réflexe créatif du retournement des clichés littéraires est manifeste ici comme ailleurs, mais les quelques constantes que l’on peut isoler dans la production « marine » conradienne se retrouvent clairement dans le ‘Tether’.

La première de ces constantes, c’est la systématique décomposition des processus sémiosiques chez Conrad. Toute fiction est certes susceptible de se laisser approcher par la sémiotique, mais ici, c’est la sémiotique qui est l’objet même du traitement fictionnel : qu’il s’agisse de l’interprétation du signe ou du traitement des codes, rien n’est laissé dans le flou de l’implicite. Les personnages sont avant tout définis comme purs vecteurs d’un « mot » 194 (même s’ils ont parfois un vague homonyme dans le monde réel, biographique, de l’auteur), comme pures instances d’une problématique sémiotique.

C’est là peut-être une marque de fabrique ; c’est sans doute par-là que le surmoi de l’écrivain reprend les rènes de son inspiration ; cela fait en tout cas partie intégrante du processus créatif de Joseph Conrad.

La deuxième constante était certes attendue. Découper l’espace et le temps n’est pas un épiphénomène chez Conrad. Cela est si essentiel que les approximations se muent en graves contresens : qui penserait que la mer par exemple pourrait désigner un de ces lieux distincts où la fiction prend une forme spécifique, ferait, sur Conrad, une erreur particulièrement grossière, c’est-à-dire manquant de finesse. La mer n’est pas seulement un espace distinct de la terre : c’est une multitude d’espaces incompatibles, malgré leur éventuelle proximité. Le Nán Yáng n’inclut pas Koh-ring, pas plus que l’Océan Indien ne ressemble à la Mer de Chine.

Comme de plus chaque espace a son temps propre, sa forme d’émergence, son concert de voix, il est clair désormais que l’œuvre conradienne est essentiellement chronotopique :

Topographie Marine
Chronotopes Enallage
Indian-Ocean
Tachychronique
Koh-ring
Stroboscopique
China Sea
Centripète
Indo-Atlantique
Homéostatique
Nán Yáng

Œuvres

‘The Black Mate’
1886-1908

Lord Jim I
1900

‘A Smile of Fortune’
1911

‘The Secret Sharer’
1910

The Shadow-Line
1916

‘Typhoon’
1902

The Nigger of the ‘Narcissus’
1897

‘Youth’
1898

‘The End of the Tether’
1902
Désignation* ~ Calm-pieces ~ Storm-pieces
* Par J. Conrad lui-même.
Notes
193.

La correspondance de Conrad qui mentionne l’incident (Conrad 1902f) ne laisse pas entendre que Ford Madox Hueffer eût été plus qu’un premier informé.

194.

Au sens bakhtinien.