5.1.1.1 Convergences

John D. Gordan puis Norman Sherry soulignent d’abord le lien direct qui demeure visible entre le nom des personnes en poste à Tanjung Redeb vers 1880 et ceux des personnages conradiens.

C’est notamment le cas du « Captain Tom Lingard » d’Almayer’s Folly et An Outcast of the Islands, personnage que l’on retrouvera aussi dans The Rescue. Bien que Conrad n’ait probablement jamais personnellement rencontré le vrai capitaine William Lingard, « disparu » en 1885, il n’a pu manquer d’en entendre parler lors de ses quatre voyages vers Tanjung Redeb comme second du Vidar entre le 22 août 1887 et le 4 janvier 1888 (voir Annexe A, p.IV).

Or, William Lingard entre dès 1864 en relation avec cet Olmeijer qu’une simple transcription phonétique du néerlandais vers l’anglais transforme en « Almayer » chez Conrad :

‘In 1864 we find Lingard connected for the first time with the Olmeijer (Almayer) family. On 18 November he brought the Cœran in from Macassar in Celebes and eight days later was married at the Presbyterian Church, Orchard Road, Singapore, to Miss Johanna Carolina Olmeijer (spelt ‘Olmeyor’ in the marriage certificate). (Sherry 1966, p.94)’

Tom Lingard et Kaspar Almayer seraient donc les reflets à peine décalés des deux figures occidentales majeures du Berau.

Leurs « rivaux » du reste ne semblent guère créés ex nihilo non plus. Cet « Abdulla » qui inquiète si fort Almayer et dont Cedric Watts soupçonne qu’il trame « a covert plot » contre les Blancs du district (Watts 1983), n’est pas mal nommé non plus, puisque l’armateur du Vidar sur lequel navigue Conrad quand il visite Tanjung Redeb, Syed Mohsin bin Salleh Al Jooffree, avait placé son fils aîné, Syed Abdulla, en poste sur le Berau (Sherry 1966, p.107).

De même, il n’est pas indifférent de noter que « th[e Arab] station, which was responsible for much of Olmeijer’s misfortune as an independent trader, was operated for more than twenty years by Syed Mohsin’s son, Syed Abdulla, with the assistance of Haji Mohammad Nohr and a local Buginese, Daeng Marola » (Warren 1977, p.29), car cela donne au « Dain Maroola » de Conrad un quasi-homonyme sur le terrain aussi 195 .

Il n’est pas jusqu’au Jim-Eng conradien qui n’ait sa source probable dans Po Eng Sing, marchand chinois qui devint le beau-père de Jim Lingard 196 , ou jusqu’aux Daoud Sahamin et Mahmat Banjer d’An Outcast of the Islands qui ne remontent à « Sahamin Orang Banjar of Berouw who used the Vidar to trade » (Gordan 1940, p.48).

En somme, les romans kalimantanais semblent tellement « à clés » que ceux parmi les colons de Tanjung Redeb qui les lisent se posent des questions :

‘Most of them live out there and even read my books and wonder who [the] devil has been around taking notes. My visitor told me that Joshua Lingard [Jim’s brother] made the guess ; it must have been the fellow who was mate in the Vidar with Craig. (Conrad 1909a, p.277-278)’

Notes
195.

Jim Warren se fonde sur le Diary de William Pryer, June 27, 1880, et sur une lettre de Pryer à Reed, July 31, 1880.

196.

« Statement of Kang Si Gok, Anang Dachlan and the Ratu of Gunung Tabor, widow of Sultan Achmud, in Mr. Haverschmidt to Dr. J. G. Reed, January 24, 1951, Haverschmidt Papers ; interview with Mrs. C. C. Œhlers by Dr. D. J. Reed, April 13, 1951, Reed Papers » (Warren 1977, p.26, n.22).