Lingard se disperse parce que la présence indésirable du yacht tout à coup, en ouvrant un éventail d’issues possibles, envoie ses dés tournoyer. Le « Rajah upon the sea » (Conrad 1920a, p.75), qui se prend pour Nemo, aux prises avec le Mesa qui sommeille en lui perd sa belle assurance, et l’émergence lacanienne s’instaure.
C’est-à-dire que, sur cette embouchure sans ramifications, dans cette situation qui a tout pour rester univoque, Lingard seul se fait homme-delta, et prend en charge toutes les voix encore audibles faute de choisir sa voie.
Toute la polyphonie du roman passe donc par lui, comme elle passait jadis 234 par les personnages du Nigger of the ‘Narcissus’, mais sans cette fois refléter une fracture consciente de l’idéologie dominante : la voie Nemo suivie par un sujet britannique (et non plus un Indien comme le Prince Dakkar) n’est pas encore clairement concevable en 1920, même si elle est moins exotique alors qu’elle ne l’était en 1896 ; la voie Mesa est d’ordre privé ; et les voies marine, chrétienne, occidentale, chevaleresque et gentleman-like se fondent aisément.
The Rescue est donc ce cas d’école, insoluble en 1896, à peine moins ardu en 1920, où une polyphonie manifeste, à plusieurs personnages, est écartée, pour laisser place à celle qui se condense chez l’unique Lingard, et sur une question qui, d’inconcevable qu’elle était dans la pensée fin-de-siècle, devient tout juste perceptible après guerre.
Tout se passe comme si The Rescuer, le roman conçu en 1896, avait été le premier lieu d’exploration des codes en vigueur et de leurs divergences possibles au sein de la Weltanschauung qui tente pourtant de les intégrer tous. Mais, le sujet de ce roman initial ne permettant pas de donner son plein relief à une telle problématique, Conrad la simplifie et la déplace, ce qui donne The Nigger of the ‘Narcissus’ en 1897. Il faudra laisser passer la guerre de 1914-1918 pour que la problématique de The Rescue prenne un sens saisissable par le lectorat européen (voir 5.4.6 ci-dessous).