6.2.1 Racine est Racine

« Patusan, c’est Patusan » ressemble à l’une de ces tautologies que Roland Barthes qualifie de petites-bourgeoises et qui « signifie[nt] une rupture rageuse contre l’intelligence et son objet » (Barthes 1957, p.109). Est-ce cette « menace arrogante d’un monde où l’on ne penserait pas » (Ibid.) qui a provoqué une telle frénésie pour « penser » Patusan ailleurs qu’à Patusan ?

La critique pourtant ne recule pas devant la trivialité d’énoncés comme « la Tamise, c’est la Tamise ». Et à bon droit, parce que ce n’est pas une vraie tautologie. On affirme ici quelque chose qui ne va pas totalement de soi : que la Tamise (des nouvelles conradiennes, de ‘Youth’ ou de ‘Heart of Darkness’) est la Tamise (le fleuve qui passe, « admire mon fils la prudence divine », juste au milieu de Londres). On pose que le nom utilisé dans un système fictionnel, dans un monde possible nettement distinct du monde consensuellement admis comme « réel », a quelque chose à voir avec son homonyme dans le monde « réel ».

De même, on pose d’ordinaire que le Congo c’est le Congo, que « Bankok » c’est Bangkok, ou que « Samarang » c’est Semarang.

Que s’est-il donc passé pour que le lecteur qui, apprenant que Jim s’est réfugié à Patusan, refuserait de tergiverser et se dirait : « Soit. Stein est en relations avec Charles Brooke, deuxième de la dynastie, et a obtenu du rajah blanc des droits d’exploitation sur le site de l’ancien fort de Patusan, dressé dans l’un des coudes du fleuve Batang Lupar. » ; que s’est-il passé pour qu’un tel lecteur aujourd’hui soit aussitôt taxé de naïveté, voire d’incompétence petöfienne ?