6.7 Bilan

Il va de soi qu’on n’en aura jamais fini avec Lord Jim. Il faut être Morris Zapp pour espérer tout dire sur Jane Austen et écrire l’étude définitive qui prendrait en compte toutes les approches connues, « historical, biographical, rhetorical, mythical, Freudian, Jungian, existentialist, Marxist, structuralist, Christian, allegorical, phenomenological, ethical, exponential, linguistic, archetypal, you name it » (Lodge 1975, p.44 & 1984, p.24).

Du moins l’approche chronotopique a-t-elle ouvert quelques perspectives. L’espace, revenu à Patusan, renforce l’idée d’une émergence historique qui n’avait échappé à personne malgré l’accumulation des arguties et des négligences dont il a bien fallu débrouiller l’écheveau. Mais le temps lui-même s’est révélé au cœur de l’architecture complexe du roman : le temps biographique a permis d’avancer une thèse sur l’actualité des réflexions nietzchéennes et ainsi de ne pas manquer la polyphonie vraie qui s’entend sur la question de l’Übermensch ; mais c’est l’interrogation philosophique sur le temps même (historiciste versus fragmentaire) qui donne leur plus grande pertinence aux questions d’intertextualité, c’est-à-dire de « relation dialogique », avec Gœthe, Shakespeare… ou Aristote, tant le « destin » et les « phases » nous ramènent au chapitre 1.

Le chronotope conique de Patusan est donc un chronotope plein, distinct du chronotope à l’œuvre sur le Berau. Il s’articule, certes, sur un autre chronotope, naguère défini comme relevant de l’Indian-Ocean, mais, loin de le répéter, il le complète en l’inversant, en ouvrant vers cette polyphonie et cette émergence qui manquaient dans Lord Jim I. Lord Jim II est donc cette partie par laquelle Lord Jim est grand, et non une excroissance mal venue comme on a pu le dire ici ou là.