7.3 Combinatoire chronotopique

De plus, outre la possibilité d’accroître la variété des chronotopes isolés, le traitement résumé supra permet aussi de combiner plusieurs d’entre eux. Comment en effet articuler Lord Jim II, non seulement à l’Océan Indien qui fonde Lord Jim I, mais aussi à Bornéo et au Delta qui fondait les deux autres romans situés sur cette île et achevés avant 1900 ? Trop ouvert, comme dans ‘A Smile of Fortune’, l’Océan Indien laisse Marlow aller où il veut et ne pose le cadre d’aucune suite définie ; trop fermé, comme dans le diptyque kalimantanais (Almayer’s Folly & An Outcast of the Islands), le Delta bloque trop d’issues. En fermant l’un (en réduisant l’espace extérieur à l’Océan Indien à un point), et en rouvrant l’autre (en redéployant le sideshadowing véritable), il devient possible d’articuler les deux dans un chronotope conique qui explore la possibilité d’une -émergence (voir chapitre 6) 284  :

Figure 17
Figure 17
Notes
284.

Si l’on tient compte de la chronologie biographique, les distorsions chronotopiques conradiennes semblent toutes aller dans le sens d’une ouverture : le chronotope Océan-Indien en effet était fermé dans Lord Jim (1900) avant de s’ouvrir pour ‘A Smile of Fortune’ (1911d). De même, l’éventail du sideshadowing est tronqué dans An Outcast of the Islands (1896a), avant de se déployer pleinement pour Lord Jim. Prenons garde cependant que ‘The Black Mate’ (où le chronotope Océan-Indien est plus ouvert encore que pour ‘A Smile of Fortune’) et The Rescue (où le sideshadowing reste central) brouillent cette chronologie, la faisant osciller entre 1886 et 1908 pour la nouvelle, 1896 et 1920 pour le roman.