PREMIERE PARTIE :
JUDE THE OBSCURE
DE THOMAS HARDY :
“A MIRROR HELD UP TO TRAGEDY”

CHAPITRE I :
L’ART DE THOMAS HARDY

I. La nature du roman

Le monde de Jude est marqué par l’absence du père. Le seul substitut symbolique pourrait en être Phillotson, mais il disparaît à son tour, ne laissant à Jude qu’un modèle illusoire de réalisation de soi par la lecture et les études, et ne réapparaît que pour épouser celle que le fils désire : Jude est alors dans la position d’un Œdipe gêné par le père, et la tragédie s'inscrit. Cependant, il est la victime et ne souhaite pas la mort du père. De plus, la mère manque elle aussi et la tante de Jude n’est qu’un ersatz qui ne lui apporte pas d’amour mais lui rappelle sans cesse qu’une existence solitaire et la mort sont tout ce qu’il devrait attendre de la vie. Car Jude n’est pas une tragédie antique, mais moderne.

La perte des repères – représentée par l’absence de filiation – va alors permettre la venue dans le roman de l’enfant appelé “Little Father Time” et qui préfère que ceux qu’il appelle père et mère ne se marient pas. Il n’est d’ailleurs pas le fruit de leur union, peut-être même n’est-il pas le fils de Jude.

Tout ce qui semble bon et agréable dans le texte se situe hors mariage, hors conventions et donc subit la condamnation de la loi sociale. Ce triste constat d’un univers qui interdit le bonheur simple et naturel d’êtres qui s’aiment amène le narrateur à glisser une prophétie dans les paroles de Jude qui répète les mots du médecin après la mort des enfants :

‘“The doctor says there are such boys springing up among us – boys of a sort unknown in the last generation – the outcome of new views of life. They seem to see all its terrors before they are old enough to have staying powers to resist them. He says it is the beginning of the coming universal wish not to live.” (J 23 402) ’

La tragédie est donc la trame qui sous-tend l’œuvre, la mort est toujours aux aguets. Cela apparaît dans la nature du texte qui se décline en plusieurs nuances, alliant les descriptions détaillées du régionalisme aux ingrédients tragiques. De même, dans la structure du roman, chaque élément laisse entrevoir sa contrepartie négative. Ensuite la narration dévoile un regard du narrateur qui se fragmente peu à peu jusqu’à s’éclater en une multitude d’autres regards et de voix. Face à cette brèche qui ne cesse de s’agrandir en une béance inquiétante, où le narrataire trouvera-t-il sa place (si tant est qu’elle puisse se définir dans le roman moderne) ?

Notes
23.

Dans les références, on conviendra d’utiliser J pour Jude the Obscure (Harmondsworth, Penguin, 1996).