1. Les lieux du roman

Dans Jude , le regard du lecteur est invité à se poser sur les descriptions des différents paysages, des villages, des églises, ou des maisons. Le narrateur connaît le Wessex et semble y avoir marché comme le font ses personnages. Il peut évoquer le passé et le présent de ces lieux sur un ton souvent nostalgique. Dès le premier chapitre par exemple, il laisse entendre sa préférence pour les constructions anciennes, chargées d’histoire, aux bâtiments modernes, sans âme et sans mémoire.

Ainsi, le vieux village de Marygreen a été démantelé ; les toits de chaume ont été détruits (“pulled down” J 6), l’église réduite à néant (“taken down”, “cracked up into heaps” J 6). Le narrateur évoque cette disparition telle une profanation non pas religieuse mais en égard au temps qui passe  : les restes du bâtiment ont été jetés aux cochons (“utilized as pig-sty walls” J 7), et les tombes ancestrales sont commémorées par des croix bon marché garanties cinq ans !

‘The site whereon so long had stood the ancient temple to the Christian divinities was not even recorded on the green and level grass-plot that had immemorially been the churchyard, the obliterated graves being commemorated by eighteenpenny cast-iron crosses warranted to last five years. (J 7) ’

Plus loin, il présente Stoke-Barehills où a lieu la « Grande Foire Agricole du Wessex » (J 344) et où la grande route vers Londres se sépare en deux parties qui se rejoignent un peu plus loin sans que personne ne sache vraiment pourquoi : cette bifurcation était à l’origine de nombreuses discussions par le passé, avant que le train ne rende ce chemin que peu utilisé.

‘But the question is now as dead as the scot-and-lot freeholder, the road waggoner and the mail coachman who disputed it; and probably not a single inhabitant of Stoke-Barehills is now aware that the two roads which part in his town ever meet again; for nobody now drives up and down the great western highway daily. (J 344) ’

Le narrateur, lui, se souvient du temps jadis, il est la mémoire des lieux qui ne sont plus mais qui renaissent dans ses yeux ou plutôt dans sa voix : temps et espace s’y rejoignent.

Mais il peut aussi évoquer les progrès que sa connaissance des différentes époques lui permet de noter. L’échec de Jude à Christminster sera donc mis en relief par la réussite, quelques années plus tard et au même endroit, d’autres jeunes hommes du peuple qui auront eu la possibilité d’accéder au monde universitaire (J 386).

Le regard du lecteur circule alors d’une époque, d’un lieu ou d’un personnage à un autre, au gré des paroles du narrateur. Le roman s’articule d’ailleurs en six parties délimitées par les changements de lieux. La vie du protagoniste est ainsi rythmée par ses choix, plus ou moins libres, d’une ville ou d’un village où résider. Dans la partie IV cependant, Shaston est l’endroit où habite Sue, soulignant ainsi l’interconnexion de la vie des deux personnages principaux et la division de Jude qui ne cesse d’aller là où il n’a pas de maison, uniquement pour la voir.

A l’intérieur de ces parties, d’autres sites sont des points d’ancrage de l’action, des lieux charnières. Ils ont une signification particulière pour Jude, tantôt annonçant la tragédie à venir, tantôt mettant en relief les mauvais choix qui l’ont provoquée. Le régionalisme n’est qu’une fonction dans le roman, un support à l’intrigue, un outil de la tragédie.