II. Structure de l’œuvre et narration.

A. “The rectangular lines of the story 170 ”.

Thomas Hardy n’était pas le partisan d’une écriture réaliste référentielle.

‘Art is a disproportioning – (i.e. distorting, throwing out of proportion) – of realities, to show more clearly the features that matter in those realities, which, if merely copied or reported inventorially, might possibly be observed, but would more probably be overlooked. Hence “realism” is not Art 171 .’

Plutôt qu’une quête de vraisemblance, la recherche de l’auteur semble être celle d’un équilibre intratextuel quitte à déformer la réalité pour construire un roman à l’image de l’amour fusionnel entre Sue et Jude, se soutenant d’une structure binaire et de renversements qui font preuve d’une symétrie sans faille.

Et pourtant une faille apparaît bien vite : rien ne se passe comme le voudraient les personnages ou le lecteur. L’harmonie fait place à la spirale dévorante, aspirante, de la tragédie. Dans sa structure, l’œuvre de Hardy fait écho à ce qu’on a pu dire sur la nature du roman ; tout en revient à alimenter la tragédie. L’écriture tente de répondre à l’appel de l’Autre qui, au temps des auteurs grecs, s’imageait par les dieux, et devient à l’époque victorienne – lorsque « le discours de la science a fait apparaître de manière éclatante l’inexistence de l’Autre 172  » – le lien social. Traditionnellement, le point de capiton,

‘c’est l’Autre comme opérateur capable de surmonter la disjonction du signifiant et du signifié, et de ce fait d’établir un rapport entre le langage et le réel… Si l’Autre n’existe pas 173 , si l’Autre comme point de capiton, n’existe pas, alors ce qui vient à la place de l’Autre, Lacan l’a dit, c’est le discours comme principe du lien social 174 .’
Notes
170.

Dans une lettre du 4 janvier 1896, Hardy écrit : “The rectangular lines of the story were not premeditated, but came by chance […]” (F.E. Hardy, p. 273).

171.

F. E. Hardy, p. 229.

172.

Ramel, p. 34.

173.

« [C]’est-à-dire lorsque « le signifiant que l’Autre existe » (le Nom-du-Père) n’existe pas », explique J. A. Miller (Ibid., p. 67).

174.

J. A. Miller et E. Laurent, L’Autre qui n’existe pas, p. 58, référence donnée par Annie Ramel lors du séminaire lacanien du CERAN à l’université Lumière – Lyon 2.