B. La narration.

Le narrateur de Jude se présente en chroniqueur, “the chronicler of these lives” (J 482), revendiquant l’objectivité du journaliste. L’auteur veut nous faire croire que c’est un historien qui raconte – nous avons déjà noté son attachement au passé 233 –, un observateur de la nature humaine – dont nous avons évoqué les points communs avec les naturalistes 234 . Mais l’on sait aujourd’hui que l’objectivité n’existe pas. Tout acte d’écriture est traversé par la pensée de l’écrivain, de même que toute parole est marquée par celui qui la prononce. Sans compter que chaque mot est chargé de sa propre histoire, du contexte social, et du sens que choisit d’y mettre celui qui lit ou écoute, comme le soulignait Bakhtine :

‘L’auteur (le locuteur) a ses droits inaliénables sur le discours, mais l’auditeur a aussi ses droits, et en ont aussi ceux dont les voix résonnent dans les mots trouvés par l’auteur (puisqu’il n’existe pas de mots qui ne soient à personne) 235 . ’

Le narrateur a donc un rôle que le lecteur devra discerner. Dans les scènes, par exemple, l’action ne nous parvient que filtrée par son regard et retransmise par sa voix : est-il donc une autre figure de la société anglaise qui condamne Jude et Sue ou va-t-il jeter une autre lumière sur leur histoire ?

Notes
233.

Voir supra, pp. 14.

234.

Voir supra, pp. 30-38.

235.

Todorov, Le Principe dialogique, p. 83.