Le cheminement des protagonistes est l’une des ironies de ce roman car Jude, à la fin de sa vie, en arrive là où se place Sue lorsque nous la rencontrons. Par exemple, comme le protagoniste, elle est séduite par la beauté des formes qu’elle rencontre : elle confectionne des objets d’art religieux (J 105), elle aide Jude à restaurer l’inscription des Dix Commandements dans une église et fabrique avec lui la maquette d'une des universités de Christminster (J 350). Elle connaît la Bible et aime la poésie du « Cantique des Cantiques » : “such ecstatic, natural, human love as lies in that great and passionate song!” (J 182). La musique est un autre art qu'elle pratique ; l'hymne qui a tant ému Jude éveille en elle des sensations identiques (J 240-241).
Pourtant, elle refuse les croyances qui s’attachent à l'Anglicanisme. Ainsi, bien qu’évoluant dans un environnement religieusement connoté, elle s’en détache souvent pour voguer vers d’autres univers artistiques : elle achète par exemple deux statues de divinités grecques (J 111). Il apparaît aussi, dans les citations où elle parle des cathédrales, combien elle s'écarte de l'orthodoxie et remet en question la validité de ces lieux de culte.
Elle semble en avance sur son époque et libérée de toute crainte face à la censure sociale. Son histoire avec un jeune étudiant la présente telle une femme moderne et libérée 376 . Elle se sent plus attirée par l'architecture d'une gare que d'une cathédrale :
‘“Shall we go and sit in the Cathedral?” he asked, when their meal was finished.Elle critique également la culture défendue à Christminster, ville aux mœurs médiévales :
‘“The mediaevalism of Christminster must go, be sloughed off, or Christminster itself will have to go.” (J 180) ’Sue paraît parler ici en faveur d'une politique sociale et culturelle progressiste, voire réformatrice 377 . Selon elle, la cité universitaire doit changer pour subsister car l'ignorance des érudits face aux gens du peuple n'est qu'une forme de féodalisme :
‘“I have no respect for Christminster whatever, except, in a qualified degree, on its intellectual side,” said Sue Bridehead earnestly. [...].Seuls les savants désintéressés et les démunis 378 ont quelque dignité à ses yeux.
Car elle recherche des valeurs nouvelles qui ne seraient pas dictées par les dogmes religieux ou socio-culturels. Mais ce faisant, sa quête prend une dimension purement intellectuelle. Elle conduit à l’orée du Positivisme d'Auguste Comte qui divise l'histoire de l'humanité en trois états : théologique, métaphysique et positif. Sue rejette les croyances de son temps et va au-delà de la métaphysique en cherchant à vivre selon des lois naturelles et scientifiques.
Elle tente de rendre son existence supportable par une complétude intellectuelle, qui ne fait que remplacer une plénitude religieuse qu’elle rejette au départ. Car Sue redoute le vide : sa pratique de l’enluminure s’apparente au baroque, art du trop-plein par excellence, et elle avoue ne pas aimer les ruines, ni le Gothique 379 d’ailleurs :
‘“Where shall we go?”Le passage au mysticisme sera alors aisé : la vie de Sue pourrait n’être qu’un retournement quelque peu ironique, à l'image de l’histoire du positivisme dont certains partisans pratiquèrent bientôt un véritable culte.
Son savoir est donc relativement artificiel, contrairement à celui du protagoniste qui s’efforce toujours de remonter aux sources de la connaissance, en étudiant par exemple des textes en latin, en grec, et les écrits des Pères de l'Eglise (J 171). Sue reste une figure énigmatique pour Jude dont le cheminement se fait à l’inverse et avec plus d’authenticité. C’est en ce sens qu'elle est cette créature dérangeante que décrit D. H. Lawrence :
‘One of the supremest products of our civilization is Sue, and a product that well frightens us 380 .’Elle qui voudrait échapper à la lettre pour ne pas être réduite à une image – celle de la femme victorienne 381 – ne peut qu’être prise au piège par son propre savoir. Elle poursuit sa quête de liberté à travers des lectures et la découverte d’une culture qui, malgré des postulats novateurs 382 , s’est déjà érigée en norme. Elle diffère de Jude qui, on l’a vu plus haut, acquiert quant à lui le savoir de l’artiste, c’est-à-dire un savoir autre qui ne peut être socialisé.
Au fil des pages on s'attend à ce que l’artiste qui se cache en elle surgisse. Lors de la foire du Wessex où est exposée la maquette de l’université, le narrateur suggère que la sensibilité, voire la sensualité, de Sue s’éveille enfin :
‘In the meantime the more extraordinary couple and the boy still lingered in the pavilion of flowers – an enchanted palace to their appreciative taste – Sue's usually pale cheeks reflecting the pink of the tinted roses at which she gazed 383 ; for the gay sights, the air, the music, and the excitement of a day’s outing with Jude, had quickened her blood and made her eyes sparkle with vivacity. (J 352)’Elle demeure cependant une artiste incomplète car elle ne franchit pas le seuil de ses émotions. Son esprit apparemment révolutionnaire dissimule en réalité un penchant pour l’art classique : Sue connaît les auteurs antiques, elle se passionne pour la Grèce et se laisse séduire par la sonorité du mot “Corinthian”. Lors de la visite d’un musée, pendant que Jude s’attarde devant des tableaux de thème religieux, Sue choisit de contempler des œuvres néo-classiques : “she would move on and wait for him before a Lely or Reynolds” (J 163). Lorsque Jude avoue être las de restaurer des églises gothiques, elle répond :
‘“You ought to have learnt Classic. Gothic is barbaric art after all. Pugin was wrong, and Wren was right.” (J 364)’Notons enfin que lorsqu’elle énumère les livres qu’elle a lus (J 176-177 384 ), elle avoue connaître les grands classiques mais ne pas avoir lu les originaux, se contentant de leur traduction.
Sue se singularise donc par ses ambiguïtés, et la structure de renversement textuel se trouve illustrée dans le cheminement des protagonistes :
‘[...] Sue and himself had mentally travelled in opposite directions since the tragedy: events which had enlarged his own views of life, laws, customs, and dogmas, had not operated in the same manner on Sue’s. She was no longer the same as in the independent days, when her intellect played like lambent lightning over conventions and formalities which he at that time respected, though he did not now. (J 411-412)’Pour Dale Kramer, Sue est le personnage le plus déroutant de Hardy 385 . Elle apparaît comme la face obscure du protagoniste et de Jude dans son ensemble 386 .
‘Viewed as centred upon Jude Fawley, Jude the Obscure is a fatigued and awkward and really rather dismal performance. Viewed as centred upon what the impressed but scandalized Edmund Gosse called Sue's vita sexualis, there can be no doubt that Jude the Obscure stands among the most impressively exploratory and intuitive of modern English novels 387 .’Une telle lecture reste sourde à la richesse du traitement du personnage masculin et donne une vision fort restrictive de l’autre protagoniste, mais permet cependant de s’aventurer plus loin dans la critique du personnage de Sue.
Celle-ci se caractérise moins par sa modernité que par son désir de revenir aux sources de la vie en société, avant même que la civilisation n’ait pu dicter ses lois. Tandis que Jude étudie afin de gravir les échelons de la connaissance sans se soucier de l’échelle sociale, Sue est en quête de valeurs nouvelles et authentiques :
‘“But you were elbowed off the pavement by the millionaire’s sons.”Elle considère par exemple que la Bible a été manipulée et transformée par les hommes : “people have no right to falsify the Bible” (J 182). C'est pour cette raison qu’elle tente de rétablir l'harmonie du texte sacré en le réorganisant selon l'ordre qui lui paraît le plus naturel : l'ordre chronologique.
Par son anticonformisme Sue tente de remettre en question l’ensemble des fondements de la culture victorienne qui puise sa source dans l’histoire aussi bien religieuse que politique du pays. C’est pourquoi elle méprise quelque peu la minutieuse reproduction de Jérusalem qui, selon elle, a tout à envier à Athènes, Rome et Alexandrie :
‘“I fancy we have had enough of Jerusalem,” she said. “Considering we are not descended from the Jews. There is nothing first-rate about the place, or people, after all – as there was about Athens, Rome, or Alexandria, and other old cities.” (J 127)’Elle se veut hors-religion et hors-civilisation. Elle exprime cela fort bien en s’adressant à Jude qui la croit si moderne : “You called me a creature of civilization [...]. I am a sort of negation of it” (J 176). C'est pour cette raison qu’elle paraît immatérielle à Jude, presque désincarnée : “so ethereal” (J 223), “so uncarnate” (J 224). Elle demeure une énigme pour le protagoniste, “a riddle” (J 160 et 274), d'autant plus qu’elle est vue le plus souvent de l’extérieur, à travers les yeux de celui-ci : elle est une part de l’obscurité de Jude qui la trouve si peu conventionnelle (“unconventional 388 ” J 178).
Elle rejette la culture qu'elle connaît si bien, elle qui a lu plus que Phillotson et plus que Jude 389 , et aspire à un retour vers une époque plus ancienne que l’ère chrétienne :
‘“So would you be if you had lived so much in the Middle Ages as I have done these last few years! The Cathedral was a very good place four or five centuries ago; but it is played out now… I am not modern, either. I am more ancient than mediaevalism, if you only knew.” (J 160)’Si Sue est moderne, ce n’est pas parce qu'elle croit au progrès, mais parce qu’elle espère, en fuyant dans un passé lointain et obscur, échapper à tout référent qui la cristalliserait en une créature reconnaissable et définissable. Elle voudrait retrouver une civilisation où l’homme n’aurait pas laissé de traces et où la chute n’aurait pas instauré à jamais la division 390 .
De là vient son étrangeté : cette jeune fille cultivée tente d’échapper à sa propre culture et renie, par exemple, les particularités de son sexe. Jude ne parvient pas à comprendre qui elle est :
‘Jude felt much depressed, she seemed to get further and further away from him with her strange ways and curious unconsciousness of gender. (J 179).’Ce passage souligne les divergences entre les deux personnages. La réticence de Sue à vivre sa sensualité est bien un des éléments qui l’opposent à Jude, lui qui se laisse séduire par Arabella puis par sa cousine. Le narrateur suggère d’ailleurs que l’héroïne est loin de correspondre aux critères de l’épouse type. Elle est en réalité :
‘[...] the slim little wife of a husband whose person was disagreeable to her, the ethereal, fine-nerved, sensitive girl, quite unfitted by temperament and instinct to fulfil the conditions of the matrimonial relation with Phillotson, possibly with scarce any man [...]. (J 261)’Cette absence de désir sexuel fonctionne comme l’un des pivots de la tragédie dans Jude : elle mène à sa perte le premier compagnon de Sue – le jeune étudiant ; elle conduit Jude à passer une nuit avec Arabella ; enfin la répugnance qu’elle éprouve face à Phillotson prend une tournure tragique lorsqu’elle lui offre son corps en signe de repentance après leur remariage.
La scène dans laquelle Jude héberge Sue qui s'est enfuie de son école à Melchester est une belle illustration de cette particularité du personnage féminin (“a peculiarity in me” J 177). Ses habits sur la chaise ne sont qu’un voile neutre qui cacherait un être asexué : “They are only a woman’s clothes – sexless cloth and linen…” (J 173). Selon elle, le corps, les habits, les formes ne font pas la femme 391 . Le regard social la désigne comme telle, mais elle refuse d’endosser le rôle qu’on lui attribue. Elle ne veut pas revêtir la fonction de la femme soumise au régime patriarcal de la société victorienne ; comme Diane dans le mythe d’Actéon, elle est « cette faille dans l’Autre signifiant », ce « personnage par excellence qui se refuse, dit non au désir de l’Autre », Sue est « l’Un-en-moins 392 ». Sa tentative d’échapper à Phillotson 393 en sautant par la fenêtre (J 271) signifie bien son désir de ne pas se livrer au regard masculin et d’affirmer son autonomie – désir qui s’évanouira lorsqu’elle acceptera à la fois le dogme religieux et la loi matrimoniale.
Ainsi elle tente bel et bien de nier la civilisation dans laquelle elle évolue. Elle se pose comme négation de la barre sur le sujet, et par conséquent de la différence sexuelle, jusqu’à ce que le désir de Jude la marque en tant que sujet sexué traversé par le manque. Elle aspire à retrouver son enfance, celle d'avant l’acquisition du langage, donc avant la connaissance des différences homme / femme, nature / culture, loi / interdit (alors que Jude connaît et respecte ces interdits pour les braver ensuite). Elle voudrait se positionner en deçà du stade du miroir pour se figer dans une identification imaginaire à elle-même, dans une personnalité narcissique inaccessible. Elle se satisfait d’une image unifiée que lui renverrait le miroir :
‘[...] a self-recognition, the imaginary completion offered to the minimal body, the imaginary blinding that goes along with it, the recognition that is intrinsically a miscognition [...] 394 .’Le texte met en relief cet aspect du personnage. Alors qu’elle est Mrs Phillotson, Sue apparaît toujours comme une enfant : elle avoue avoir beaucoup d’affection pour Jude, lui accorde parfois même un baiser, mais veut s’en tenir à cette relation qu’elle dit suprêmement subtile, “of a supremely delicate kind” (J 287), pour ne pas dire excessivement ambiguë. Le narrateur confirme cette vision du personnage lorsque les deux protagonistes se rendent à Aldbrickham après que Sue a quitté Phillotson :
‘Though so sophisticated in many things she was such a child in others that this satisfied her, and they reached the end of their journey on the best of terms. (J 288)’De plus, son comportement est souvent enfantin, comme lorsqu’elle se blottit contre Jude, “pressing her little face against his breast as if she were an infant” (J 413). De même son attitude envers son prétendant est celle d’une petite fille avec son amoureux :
‘“Now I forgive you! And you shall kiss me just once there – not very long.” She put the tip of her finger gingerly to her cheek; and he did as commanded. “You do care for me very much, don't you, in spite of my not - you know?” (J 292 ) ’Elle est incapable d’évoquer l'acte sexuel auquel elle se refuse. Au contraire, elle dit souvent ce qu’elle voulait ne pas dire, concluant ses déclarations par un “There, I’ve said it” (J 266, 289). Irving Howe résume ainsi le personnage :
‘She is all seriousness, but without that security of will which enables one to live out the consequences of an idea to their limit. She is all feminine charm, but without body, without flesh or smell, without femaleness 395 . ’Dans une lettre à son ami Edmund Gosse du 20 novembre 1895, Hardy évoque également le caractère dérangeant de Sue :
‘[...] there is nothing perverted or depraved in Sue’s nature. The abnormalism consists in disproportion, not in inversion, her sexual instinct being healthy, as far as it goes, but unusually weak and fastidious. Her sensibilities remain painfully alert notwithstanding, as they do in nature with such a woman 396 .’Et en effet, s’il y avait inversion, elle serait alors dans l’autre camp – celui du pouvoir phallique en tant qu’il s’oppose à l’Autre féminin –, tandis qu’elle cherche à n’être nulle part. Cette volonté de Sue d’être radicalement différente, d’être autre sans être l’Autre, se traduit souvent par les ambiguïtés de son discours. Ainsi, parlant de Phillotson :
‘“He is the only man in the world for whom I have any respect or fear [...].”Elle se contredit également en évoquant sa relation avec Jude : elle commence par lui interdire de l’aimer : “You mustn’t love me” (J 186) ; puis elle se rétracte peu après :
‘The next morning there came a letter from her, which, with her usual promptitude, she had written directly she had reached her friend’s house. She told him of her safe arrival and comfortable quarters, and she added: –Ainsi, bien que Sue soit une énigme pour lui, Jude parvient cependant à discerner cette ambivalence chez sa bien-aimée qu’elle reconnaît elle aussi :
‘“[...] under the affectation of independent views you are as enslaved to the social code as any woman I know!”Nous pouvons citer d’autres passages dans lesquels Jude s’émerveille de la singularité de Sue qui la rend différente des autres femmes:
‘“[...] you spirit, you disembodied creature, you dear, sweet, tantalizing phantom – hardly flesh at all; so that when I put my arms round you I almost expect them to pass through you as through air!” (J 292)’Et plus loin :
‘“But you, Sue, are such a phantasmal, bodiless creature, one who – if you allow me to say it – has so little animal passion in you, that you can act upon reason in the matter [of love].” (J 308-309)’Dans le premier exemple, Sue, quoique fantomatique, conserve les attributs d’une femme attirante (“sweet, tantalizing”) et donc clairement sexuée. Dans le second, le terme “phantasmal” nous rappelle que « fantôme » et « fantasme » dérivent tous deux du latin « phantasma ».
D’ailleurs, en devenant mère, elle échoue clairement à rester un être asexué. Sue, “the too excitable girl” (J 171), ne parvient pas à nier totalement sa propre sensibilité. Ses habits sont bien un voile qui cache et révèle une femme. Ainsi dans le train qui mène les deux protagonistes vers Alfredstone lors de la visite à leur tante malade, Jude observe les formes de Sue, bien que si délicates et si différentes de celles d'Arabella.
Le corps de Sue est la cause de beaucoup de maux pour elle-même d’abord (“this pretty body of mine has been the ruin of me already!” J 472) mais aussi bien évidemment pour ses prétendants. Son corps de femme désirable les incite à la transgression : “I simply am going to act by instinct, and let principles take care of themselves”, dit Phillotson (J 275), tandis que Jude est prêt à faire fi de ses certitudes pour elle (J 256).
Elle ne parvient donc pas à masquer ce qu’elle est. Selon Hervé Castanet,
‘[...] de ce voile, de ce rideau notre habit fait décoration et enluminure [...] et les offre aux regards fascinés des spectateurs de son petit théâtre 397 .’Le voile fascine les autres, ceux qui regardent, et Jude est un observateur fasciné par Sue.
‘Le rideau prend sa valeur, son être et sa consistance, d’être justement ce sur quoi se projette et s’imagine l’absence. Le rideau, c’est, si l’on peut dire, l’idole de l’absence 398 …’L’absence dont il est question ici est celle de ce rien qu’est le « phallus en tant qu'il manque à la femme 399 . » Sue ne peut se résoudre à accepter l’absence sous quelque forme que ce soit. Elle se refuse à porter la barre qui la désigne comme femme et qui la ferait entrer dans la chaîne symbolique des êtres.
Pour Irving Howe, elle est « une fille moderne » : “If she could not appear in an earlier nineteenth century novel, she certainly could in a twentieth century one – the only difference would probably be that now, living in her neat brownstone apartment in Manhattan or stylish flat in London and working for a publishing house or television company, she would have learned a “healthier” attitude toward sex.” (Watt, The Victorian Novel, pp. 437-438). La version qu’elle donne de sa vie commune (J 177-178) n’est en rien éloignée de certains modes de vie actuels.
Nous avons évoqué plus haut l'idéologie réformatrice de la Fabian Society et du mouvement socialiste en Angleterre (voir supra, pp. 3-4, n. 5 ).
Jude découvrira plus tard cet aspect de la vie à Christminster (J 140), mais continuera cependant de vénérer la cité et les érudits qu’elle abrite.
En ce sens, elle diffère de Jude. Cela permet d’anticiper l’incapacité de Sue à accepter toute forme de castration, de blessure, d’échec puisque le Gothique, qui refuse d’embellir ou d’enluminer et préfère déformer, peut être vu comme un travail avec l’horreur et la perte (voir supra, p. 4, au sujet de Ruskin). On peut également noter la complexité de ses goûts artistiques qui incluent le baroque et son opposé, le classicisme. Elle semble en fait rechercher avant tout dans l’art la représentation en plus beau de la réalité, selon des critères identiques à ceux avancés par Aristote. Enfin, elle est sans doute moins moderne que Jude qui accepte le dialogue avec ce qui lui est étranger, tandis que Sue s’en tient à ce qui lui plaît, ce qu’elle trouve beau, ce qui est de son temps (voir infra, p. 374, n. 231).
Lawrence, p. 109.
La citation qui suit, de Havelock Ellis, l’un des pionniers de la sexologie et défenseur des droits de la femme, montre bien quelle est cette image de la femme victorienne : “Nature has made women more like children in order that they may better understand and care for children.” (Harrison, p. 158).
Elle cite un passage de On Liberty de John Stuart Mill dans lequel l’auteur parle en faveur de la liberté d’expression : “She, or he, “who lets the world, or his portion of it, choose his plan of life for him, has no need of any faculty other than the ape-like one of imitation.” ” (J 267). Mais en 1895, les lois pour la liberté d’expression ont déjà été votées – un tel processus se dessina dès 1829 avec le “Catholic Emancipation Act”. En 1871 la religion cessa d’être un critère d’admission à l’université. “The Employer and Women Act” affirma le droit des femmes en 1875, six ans après The Subjection of Women de Mill.
Au sujet de la rose, Penny Boumelha rappelle que cette fleur qui symbolise la sensualité féminine est mise en opposition, dans la tradition littéraire, avec le lys, “the lily”, image de l'esprit. Sue désigne le lys ainsi que le montre le narrateur lorsque celle-ci est revenue vers Phillotson : “She had never in her life looked so much like the lily her name connoted as she did in that pallid morning light” (J 441). Elle ne peut alors que s'opposer à la femme charnelle, la rose : Arabella. (Boumelha, in Jude , Norton, p. 443). La scène au jardin de roses invite le lecteur à faire vaciller ces identifications rigides, sans omettre pourtant que cette attitude de Sue est aussi passagère que la lumière rose qui ne rehausse son teint qu’un instant.
Voir infra, p. 163, n. 46.
Kramer, in Kramer, p. 164 : “she’s arguably Hardy's most challenging character to understand.”
Remarquons que se devine, par un jeu de sonorités, le nom de Sue dans celui de Jude.
Dale Kramer cite J. I. M. Stewart (Thomas Hardy : A Critical Biography, Longman, London, 1971), in Kramer, pp. 171-172.
Phillotson partage la perplexité du protagoniste. Voir infra, p. 178.
“[…] I know most of the Greek and Latin classics through translations, and other books too. I read Lemprière, Catullus, Martial, Juvenal, Lucian, Beaumont and Fletcher, Boccaccio, Scarron, De Brantôme, Sterne, De Foe [sic], Smollett, Fielding, Shakespeare, the Bible, and other such […]” (J 176-177).
Le Livre de la Genèse instaure cette division en bannissant Adam et Eve hors du Jardin d’Eden (Genèse 3 : 23) et en leur donnant conscience de leur différence sexuelle (Genèse 3 : 7). Plus tard, l’épisode de la Tour de Babel renforce la notion de discorde. D’autres exemples, tels que Caïn et Abel (Genèse 4), Esaü et Jacob (Genèse 27)… illustrent tout aussi bien la division dont décide le Verbe divin.
Sue se présente telle l'antithèse de l'Abbé Choisy, personnage travesti qui, selon Hervé Castanet, démontre « par monstration, que l'habit fait […] la femme, que sous l'habit il devient femme » (Castanet, p. 41).
Castanet, p. 14. Pour Jacques Lacan dans le Séminaire XX , « l’Autre […] c’est l’Un-en –moins », ce qui « ne se noue pas » au signifiant Un, ce qui reste en dehors de la chaîne signifiante (Ibid., p. 16).
Notons aussi qu'Actéon croit que « ce qui représentait [Diane] visiblement […] était la déesse. » Or Jude idéalise Sue et voit en elle une divinité (J 174) : il donne une « consistance imaginaire » à ses formes quand Sue veut, elle, les nier (Ibid., p. 15).
Voici ce que Sue (toujours à demi-mot, sans se dévoiler entièrement) dit ressentir au sujet de son devoir conjugal envers Phillotson: “a physical objection – a fastidiousness” (J 250).
Dolar, in Zizeck, p. 13.
Howe, in Jude , Norton, p. 401.
Letter to E. Gosse, 20. 11. 1895, in The Collected Letters of Thomas Hardy , vol. 2, p. 99.
Castanet, p. 47.
Ibid., p. 47, cite Lacan, La relation d’objet, p.155.
Ibid., p. 47, cite Lacan, La relation d’objet, p.156.