B . Confrontée à la loi.

Le personnage de Sue semble être ancré dans l’imaginaire et se tenir figé devant le miroir sans aller au-delà, figé dans un avant le langage, avant l’absence, avant la perte et la barre sur le sujet. Pour cette raison, Jude voit en elle un être hors du commun et particulièrement précieux :

‘Looking at his loved one as she appeared to him now, in his tender thought the sweetest and most disinterested comrade that he had ever had, living largely in imaginings, so ethereal a creature that her spirit could be seen trembling through her limbs, he felt heartily ashamed of his earthliness [...]. (J 223)’

L’esprit de sa bien-aimée semble si pur au protagoniste qu’il l’appelle “a woman-poet, a woman-seer, a woman whose soul shone like a diamond” (J 419 400 ).

Parce qu’elle se veut libérée de tout système de pensée conventionnel, elle rejette obstinément la figure du Christ qui représente, selon elle, la possibilité d’un équilibre entre présence et absence et donc la disparition du rêve, l’impossibilité d’un idéal 401 . Elle cite Swinburne :

‘“Thou hast conquered, O pale Galilean:
The world has grown grey from thy breath 402 !” (J 113)’

Elle ne peut se résoudre à accepter l’organisation sociale en tant qu’elle est régie par la tradition d’inspiration biblique. Le système patriarcal tend à ôter à l’univers son pouvoir d’émerveillement. Aux yeux de Sue, l’accès à l’ordre symbolique par la coupure signifiante qui instaure le langage annonce la mort de l’imaginaire. Ainsi, la disparition des enfants est le signe de cette fracture où se met en place l’absence :

‘“We said – do you remember? – that we would make a virtue of joy 403 [...]. What dreadful things I said! And now Fate has given us this stab in the back for being such fools as to take Nature at her word!”(J 405, je souligne)’

Avant cela, le symbolique ne fait pas loi pour elle. Aussi quitte-t-elle Phillotson malgré son mariage et donne-t-elle des enfants à Jude. Elle refuse toute contrainte. Quel que soit le poids des conventions et de la discipline, elle garde sa fraîcheur enfantine :

‘[...] she had altogether the air of a woman clipped and pruned by severe discipline, an under-brightness shining through from the depths which that discipline had not yet been able to reach. (J 157)’

La castration ne fonctionne pas : les deux verbes, “clipped and pruned 404 ”, ne s’appliquent pas à sa personne. La discipline imposée aux jeunes femmes de l’école à Melchester ne parvient pas à ranger Sue dans les catégories du féminin, puisque peu de temps après elle s’enfuira de ce lieu pour se réfugier chez Jude au mépris de toute bienséance et y revêtira des habits d’homme. 

Ainsi, la « disproportion 405  » dont parle Hardy au sujet du désir sexuel de Sue s’apparente à la perversion plus qu’à quelque faiblesse puisque être pervers consiste à « contourner la loi, ce qui revient à éviter l’inter-diction (aux deux sens du terme), en déniant le rapport à l’objet [...] 406 . » Sue évoque d’ailleurs très bien son incapacité à accepter la castration, la coupure, à l’image du sujet pervers : “Arabella’s coming was the finish. Don’t satirize me : it cuts like a knife !” (J 421, je souligne). Jude au contraire s’y soumet et même la met en scène :

‘“Then let the veil of our temple be rent in two from this hour!” He went to the bed, removed one of the pair of pillows thereon, and flung it to the floor. (J 424, je souligne).’

Le narrateur appuie cet aspect du personnage de Sue en montrant la perversité récurrente de son discours, “the perverseness that was part of her” (J 159). Jude énonce sans le savoir cette particularité de sa bien-aimée :

‘“No, you are not Mrs Phillotson,” murmured Jude. “You are dear, free SueBridehead , only you don’t know it! Wifedom has not yet squashed up and digested you in its vast maw as an atom which has no further individuality.” (J 226, je souligne). ’

Le patronyme de Sue pourrait suggérer qu’elle a la capacité de protéger l’intégrité et l’indépendance de son propre corps : “maidenhead 407 ” qui s’entend derrière Bridehead connote la virginité. Cependant ce même nom en suggère l’impossibilité : elle est déjà irrévocablement l’épouse (“bride”).

L’ambiguïté est constitutive du personnage de Sue. Dans son rapport au langage, il apparaît clairement qu’elle rejette l’ordre symbolique en tant que loi, mais tente cependant de le contourner, voire de l’utiliser pour attendre un idéal : son intérêt pour les œuvres classiques, par exemple, réside dans le mystère qu’elles entretiennent et disparaît lorsque l’énigme est résolue 408 .

De même, la promesse de mariage qu’elle accorde à Phillotson n’est faite que de mots dont le sens varie avec l’intention du locuteur, comme si tout le langage n’était qu’une succession de déictiques. D’abord elle insiste sur le mode de parole utilisé, ici la promesse :

‘“I have promised – I have promised – that I will marry him when I come out of the Training-School two years hence [...].” (J 159)’

La réalité est mise à distance par cette répétition du verbe introducteur qui situe l’action dans l’hypothétique. Ensuite elle souligne que ce projet appartient à l’avenir et donc que les mots ne désignent ici rien de concret, voire rien de vrai : “What does it matter about what one is going to do two years hence!” (J 160). Alors que Jude sait que les paroles peuvent avoir une fonction performative, comme lorsque le prêtre déclare officielle l’union d’un homme et d’une femme, Sue croit pouvoir échapper au pouvoir du langage. Cependant, ne deviendra-t-elle pas Mrs Phillotson ?

Dans un autre tête-à-tête avec le protagoniste, elle utilise les mots pour masquer son embarras. Dans ce cas son érudition lui est bien utile en guise de digression :

‘He noticed that whenever he tried to speak of the schoolmaster she turned the conversation to some generalizations about the offending Universities. (J 181) ’

Le langage se fait accessoire pour tantôt dissimuler, tantôt révéler des pensées :

‘“You are in the tractarian stage just now, are you not?” she added, putting on flippancy to hide real feeling, a common trick with her. (J 181)’

Elle sait donc user du double sens et parler avec sarcasme –à l’image d’Arabella – puisque Jude lui répond : “There’s a sarcasm in that which is rather unpleasant to me, Sue” (J181).

Cette attitude de Sue vis-à-vis du langage touche à l’intersubjectivité : confrontée à l’autre, elle tente de se protéger de toute intrusion 409 . Aussi Jude ne manque-t-il pas de noter le contraste entre leurs discussions et leur correspondance :

‘“It is very odd that –” He stopped, regarding her.
“What?”
“That you are often not so nice in your real presence as you are in your letters!” (J 197)’

L’absence de l’autre permet à Sue d’être toute présente et de faire tomber les semblants : le jeu de présence / absence ne fonctionne pour Sue que dans cette dimension intersubjective de l’échange épistolaire. C’est alors le moyen pour elle de laisser affleurer son propre désir :

‘Suddenly, however, quite a passionate letter arrived from Sue. She was quite lonely and miserable, she told him. She hated the place she was in; it was worse than the ecclesiastical designer’s; worse than anywhere. She felt utterly friendless; could he come immediately? – though when he did come she would only be able to see him at limited times [...]. (J 155)’

La limite s’impose dans la confrontation immédiate que représente l’acte de parole. Face à la présence d’autrui, c’est elle qui se dérobe afin de mettre le désir de l’autre – et peut-être même de l’Autre – à distance. Elle va donc dans ses lettres jusqu’à déclarer à demi-mot qu’elle aime Jude : elle commence par l’autoriser à être amoureux d’elle (J 186) ; puis la chaleur qui se dégage des lignes qu’elle lui envoie trahit son émotion :

‘“‘Forgive me for my petulance yesterday! I was horrid to you; I know it, and I feel perfectly miserable at my horridness. It was so dear of you not to be angry! Jude , please still keep me as your friend and associate, with all my faults. I’ll try not to be like it again.” (J 190)’

La lettre est signée : “Your repentant Sue”. L’emploi de l’impératif, du mode d’insistance, et d’un lexique qui connote des sentiments vivaces est tout en contraste avec la correspondance qui s’échange entre Sue et Phillotson.

Si c’est bien à lui qu’elle donne une promesse de mariage, cet engagement est concédé au cours d’une conversation. Aussi Sue ne se sent-elle pas réellement liée par sa parole. D’autre part, l’échange épistolaire avec Phillotson est d’ordre purement professionnel 410 , quoique le maître d’école y voie la trace précieuse du lien qui l’unit déjà à sa promise.

‘He presently took from a drawer a carefully tied bundle of letters, few, very few, as correspondence counts nowadays. [...] He unfolded them one by one and read them musingly. At first sight there seemed in these small documents to be absolutely nothing to muse over. They were straightforward, frank letters, signed “Sue B –”; just such ones as would be written during short absences, with no other thought than their speedy destruction, and chiefly concerning books in reading and other experiences of a Training school, forgotten doubtless by the writer with the passing of the day of their inditing. (J 192-193)’

Phillotson représente précisément ce à quoi Sue veut échapper et son attitude envers lui est le symptôme qui signale que, pour elle, le Nom-du-Père est forclos 411 . Il est le représentant du père, celui dont Sue est coupée géographiquement et émotionnellement : elle change continuellement de sujet lorsque Jude parle de lui et se réjouit de ce qu’il ne lui rend que très rarement visite à Melchester. Elle ne prend pas même la peine de l’informer qu’elle a dû quitter l’école et il apprend brutalement la nouvelle par un interlocuteur inconnu :

‘There the news of her departure – expulsion as it might almost have been considered – was flashed upon him without warning or mitigation [...].
Sue had, in fact, never written a line to her suitor on the subject, although it was fourteen days old. (J 194)’

Elle avoue d’ailleurs à Jude qu’elle souhaiterait ne plus voir Phillotson, sans reconnaître pour autant l’intensité de son attachement au protagoniste : “But I shouldn’t care if he didn’t come any more!” lui dit-elle simplement (J 190). 

Tandis que Jude se rattache à l’imaginaire social qui fait tenir les lois pour ne pas céder à son désir, Sue tente de s’y dérober. Ainsi le protagoniste réintroduit toujours le nom de Phillotson dans la conversation, c’est-à-dire de celui qu’il avait imaginé comme un modèle absolu d’érudition et d’accomplissement personnel, “his former hero” (J 195). Le maître d’école appartient au passé :

‘The schoolmaster’s was an unhealthy-looking, old-fashioned face, rendered more old-fashioned by his style of shaving. (J 193)’

Il est un parfait symbole de l’ordre social et de la loi morale qui régissent les comportements humains et son ultime attitude envers Sue montrera au grand jour cette face à-demi cachée du personnage.

Sue semble donc sans cesse vouloir échapper à toute loi qui lui est extérieure, qu’elle soit symbolique ou sociale. C’est pourquoi ses conversations se teintent souvent de dénégation. Refusant d’admettre ses sentiments pour Jude – car se serait avouer sa perte d’indépendance – elle proteste :

‘“I am – not crying – because I meant – to love you; but because of yourwant of – confidence!” (J 200). ’

Puis elle énumère les interdits qui, sans compter l’existence d’Arabella, les empêchent, elle et Jude, d’envisager le mariage :

‘“You forget that I must have loved you, and wanted to be your wife, even if there had been no obstacle,” said Sue, with a gentle seriousness which did not reveal her mind. “And then we are cousins, and it is bad for cousins to marry. And – I am engaged to somebody else. As to our going on together as we were going, in a sort of friendly way, the people round us would have made it unable to continue” (J 200, je souligne)’

Dans cette citation elle a recours au mensonge, fait que le narrateur suggère par une litote qui se fait l’écho de l’attitude du personnage. Ensuite il apparaît une nouvelle fois que, dans la pratique, elle respecte les lois qu’elle rejette intellectuellement et elle se plie à la définition traditionnelle – et non pas utilitariste – du bien et du mal. Enfin elle énonce la sanction suprême chez Hardy, celle portée par le regard et la voix « des gens autour », qui s’illustre à Melchester par une tête qui disparaît derrière la fenêtre (J 186) ou les commérages des pensionnaires de la “Training School” (J 167-169). Plus tard, chez leur tante à Marygreen, elle sera donc incapable d’avouer sans détour combien elle est malheureuse d’avoir épousé un homme qu’elle n’aime pas.

Cette conscience aiguë de l’autorité de la loi qu’elle cherche à éviter façonne son personnage sur le mode tragique : son défi lancé à l’ordre établi est voué à l’échec. De même que par ses paroles elle dissimule bien maladroitement ses sentiments car le lecteur, aidé du narrateur, perçoit ce qui s’y cache 412 , elle suggère par ses actes que l’ordre symbolique, instauré par le Nom-du-Père, la lie elle aussi ; c’est ce que sous-entend le texte lorsqu’elle demande à Jude de remplir cette fonction du père au cours de la cérémonie de son union avec Phillotson :

‘“I have nobody else who could do it so conveniently as you, being the only married relation I have here on the spot, even if my father were friendly enough to be willing, which he isn’t 413 .” (J 203)’

On entend littéralement dans ses paroles le non du père. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle accède au rang de sujet, étant confrontée à l’interdit de la non-différence sexuelle. Ce « non » retentit avec pertes et fracas lors du décès des enfants qui constitue à la fois l’affirmation de la loi de l’absence – qui soutient le langage – et celle de la doxa sociale et religieuse. Ce « non », c’est le réel qui fait retour pour rappeler à Sue la nécessité du symbolique.

Notes
400.

Nous disions de Sue (voir supra, p. 163) qu’elle demeure une énigme pour le texte et pour le protagoniste. La réalité du corps voudrait se nier chez ce personnage (au contraire d’Arabella) qui donne l’impression d’un être humain sensible et libre plutôt que d’une femme à part entière : Jude l’appelle “dear, free Sue Bridehead” (J 226). Jude ne comprend pas (“Yet she seemed unaltered – he could not say why.” J 225) mais le narrataire sait que Sue n’a pas consommé son mariage, et le narrateur souligne qu’elle n’est pas faite pour l’union maritale (J 224 et 261). Pour citer d’autres exemples : “you are absolutely the most ethereal, least sensual woman I ever knew to exist without inhuman sexlessness” (J 412) ; notons qu’ici Jude semble répondre aux critiques qui voient en Sue une image perverse et effrayante de la femme (cf. D. H. Lawrence, cité p. 160). Le texte souligne donc tantôt son appartenance générique du côté des femmes, tantôt il la remet en question : “You are, upon the whole, a sort of fay, or sprite – not a woman!” (J 422). Sue représenta sans doute un pénible et délicat travail de création pour Hardy ainsi que le suggère Penny Boumelha : “the numerous revisions in which Hardy removes expressions referring to Sue’s warmth and spontaneity and substitutes references to her reserve or coolness […] should be seen, rather, as her response to the complexities and difficulties of her sexuality and its role in her relationships than as a straightforward denial of it.” (Boumelha, in Jude , Norton, p. 440).

401.

Sue semble évoluer dans le monde des idées de Platon, et prend soin de toujours se dissocier de toute matérialité. On peut noter par exemple qu’elle est piètre gestionnaire puisqu’elle perd, dans un mauvais placement, l’argent que son ami étudiant lui avait confié (J 178).

402.

Extrait de “Hymn to Prosperine”. Swinburne, que Hardy affectionnait, demeura isolé de ses contemporains par son insistance sur la fonction qu’avait selon lui la poésie d’exprimer avant tout la beauté, tandis que le roman, genre nettement plus productif à cette époque, recherchait à dépeindre une expérience d’ordre moral.

403.

Remarquons que cette expression est un écho à l’utilitarisme prôné par John Stuart Mill, auteur fétiche de Sue. La devise de cette idéologie se résumait ainsi : “the greatest happiness for the greatest number of people.” Sue en vient donc à rejeter l’enseignement auquel elle avait jusqu’alors cru fermement. J. S. Mill et Jeremy Bentham pensaient que la douleur et le plaisir étaient à l’origine de toute action humaine. Le seul critère de jugement moral du comportement humain devenait donc le bonheur procuré ou non par une action. A la lumière de cette pensée, l’histoire de nos deux protagonistes serait tout à fait immorale. C’est finalement Arabella qui serait le modèle à suivre puisqu’elle apparaît bien vivante à la clôture du roman, elle qui manipule l’ordre symbolique pour parvenir à ses fins.

404.

“Clip” signifie tailler ou rogner, comme lorsqu’on prive un oiseau de sa liberté. “Prune” désigne également l’action de tailler, d’élaguer. Ces deux mots évoquent la coupure qui vient constituer le sujet lorsqu’il accepte que l’objet chute : « refendu par le langage, effet de langage, le sujet est, aussi, simple effet de perte, car c’est de ces chutes de jouissance que constituent les objets a qu’il se soutient dans son être » (Cottet, in G. Miller, p. 26). Sue doit s’abandonner au désir de l’Autre pour accéder au rang de sujet : elle doit être femme face au désir masculin et donc reconnaître que, « [p]our elle, la castration est un fait accompli » (G. Miller, p. 86).

405.

Voir supra, p. 166. A l’époque où Hardy écrit ces mots, l’homosexualité, c’est-à-dire l’inversion des attirances sexuelles, était considérée comme un comportement pervers (du latin perversus, qui signifie renversé). C’est donc une telle accusation qu’il rejette. Cependant la perversion du personnage apparaît sous d’autres aspects.

Laura Green aborde, quant à elle, la question de l’androgynie de Sue sous l’angle de la critique sociale : “The novel reveals that it is easier for Hardy to imagine the dissolution of gender than of class boundaries, and to do so by challenging the conventions of femininity rather than those of masculinity.” (Green, “Strange indifference of sex”, p. 546)

406.

Vasse, pp. 123-124.

407.

Cf. Casagrande, p. 211.

408.

“I […] found that all interest in the unwholesome part of those books ended with its mystery.” (J 176).

409.

Si l’on s’en tient à la lecture de John Hillis Miller, c’est là une des marques de la modernité chez Hardy, puisque le roman victorien met plutôt en relief les relations intersubjectives et l’appartenance d’un individu à une communauté (J. Hillis Miller, The Form of Victorian Fiction, pp. 4-5 et 30-32).

410.

Dans sa correspondance avec Jude, les lettres de Sue peuvent aussi revêtir un aspect formel, comme lorsqu’elle lui fait part de l’imminence de son mariage et signe de son nom complet en lettres majuscules : “SUSANNA FLORENCE MARY BRIDEHEAD” (J 202). Le langage écrit se fait à son tour voile pour dissimuler une souffrance non-dite.

411.

« Il faut à ce monde de bric et de broc un principe organisateur. Ce principe est la fonction paternelle. C’est elle qui est la clé de la signification à partir de laquelle le monde incohérent prend sens. Cet arbitraire insensé du Nom-du-Père est ce qui fonde la Loi et permet le sens à partir duquel les significations s’ordonnent comme sexuelles. » (Strauss, in G. Miller, p. 67)

412.

Par exemple, le narrateur révèle combien Sue souffre de la situation malgré ses efforts pour faire paraître le contraire : “For once Sue was as miserable as he, in her attempts to keep herself free from emotion, and her less than half-success” (J 200). Peu après, il ajoute : “And then they pretended to persuade themselves that all that had happened was of no consequence […]” (J 201). Les tentatives de dénégation sont mises à jour par la narration et vouées à l’échec, si bien qu’elles s’intègrent au processus tragique du récit.

413.

Comment ne pas être frappé par l’ironie du discours de Sue qui demande à Jude de prendre la place du père, alors que Phillotson, le père imaginaire, se substitue au jeune marié. L’ironie devient cruelle quand Sue affirme que Jude convient fort bien étant donné qu’il est marié, puisque c’est ce lien officiel qui interdit l’union des deux protagonistes. Cette cruauté vise Sue elle-même car elle a conscience que son accession au régime matrimonial fait d’elle un objet : “Somebody gives me to him, like a she-ass or she-goat, or any other domestic animal” (J 203).