3. L’amour narcissique de Sue et Jude.

L’histoire de Tess et Angel se termine telle une introduction au récit idéologiquement plus moderne de Jude . L’union entre deux membres d’une même famille – Angel et Liza-Lu – donne lieu à l’histoire d’amour entre deux cousins. Cependant, dans le second roman, l’idylle se décline sur le mode narcissique plutôt que selon les critères de l’amour courtois. La présence d’une tierce personne devient superflue pour mettre en évidence la promiscuité des protagonistes car les ressemblances entre Jude et Sue sont multiples : les sonorités de leur prénom, le lien de la transmission familiale, le timbre de leur voix 535 . Le point de capiton semble être ici l’oralité et le narrateur ne manque pas de le souligner :

‘Jude knew the quality of every vibration in Sue’s voice, could read every symptom of her mental condition; (J 226) ’

Jude éprouve pour Sue une « extraordinaire tendresse » (J 109). Phillotson évoque lui “an extraordinary affinity, or sympathy” (J 276) et finit par capituler face à cette affection hors du commun :

‘“She is one of the oddest creatures I ever met. However, I have been struck with [...] the extraordinary sympathy, or similarity, between the pair. He is her cousin, which perhaps accounts for some of it. They seem to be one person split in two!” (J 274)’

Plus qu’une attirance physique entre deux personnes – ce que Phillotson appelle “an ignoble, merely animal, feeling” – le lien qui les unit touche à leurs émotions et leurs rêves – “emotions, and fancies, and dreams” (J 276). Aussi le maître d’école est-il conscient qu’il ne peut rivaliser face à un amour qui dépasse l’entendement : “their affection will be enduring.” (J 276) 

Jude et Sue sont les deux facettes d’une même personne 536 et, bien que le titre du roman se limite au prénom de Jude, nombre de lecteurs ont été tentés de placer Sue au centre du roman.

‘The result is that even though the novel is most clearly readable as the impassioned speculation on the career of its male protagonist, who deserves sympathy for the frustration and pain caused him by personal and intellectual dilemmas, for most readers the core of their reactions to the novel lies within the conflicting values and feelings of Sue 537 .’

Jude est sans nul doute le centre vital de l’œuvre si l’on s’en tient au titre et à la méthode narrative 538 . Mais il est essentiel de noter sur le plan de la diégèse à quel point l’auteur s’applique à relever les similitudes entre les deux personnages. Sue est, nous dit le narrateur, “as boyish as a Ganymedes” (J 184) en référence à Rosalind 539 dans As You Like It  ; elle paraît être à Jude ce que Viola est à Sebastian dans Twelfth Night . A l’inverse de Tess qui décide de dissimuler ses charmes et ses formes dans une tentative désespérée de ne plus éveiller la convoitise, la féminité de Sue est dépourvue de toute exubérance et son personnage ne permet pas l’inscription d’une écriture érotique :

‘Nobody stared at Sue, because she was so plainly dressed, which comforted Jude in the thought that only himself knew the charms those habiliments subdued. (J 162) ’

La différence des sexes s’efface dans la manière dont sont présentés les protagonistes : Jude peut alors s’imaginer parmi les pensionnaires de l’école pour filles de Melchester 540 tandis que Sue revêt sans difficulté les vêtements de son ami après s’être enfuie de son pensionnat. Sue dans les habits de Jude, “masquerading as himself on a Sunday” (J 172), est une flagrante évocation de la pièce de Shakespeare et semble neutraliser l’opposition homme / femme. Mais cette « mascarade » suppose aussi que le Nom-du-Père continue de dysfonctionner et que la position masculine ne tient à rien d’autre qu’une mise en scène.

La masculinité de Jude – non pas en terme de physiologie mais de position subjective 541 – est de l’ordre du semblant, alors que seule la féminité permet d’inscrire la faille qui constitue tout sujet 542 . Le travestissement de Sue ne sert qu’à mettre un peu plus en évidence le manque inhérent à tout être humain : la mascarade ne prend fin que lorsque le sujet accepte ce manque, comme Jude qui en vient à réciter les paroles de Job sur la futilité de l’existence. Sue au contraire refusera de laisser tomber le masque et optera pour un simulacre de vie auprès de Phillotson. Les deux protagonistes sont en réalité dans une position féminine jusqu’à ce que Sue se soumette à l’ordre phallique représenté par Phillotson, dans une tentative de restauration de la fonction du père.

Cette volonté de gommer les différences sexuelles apparaît aussi dans les passages où le narrateur insiste sur le caractère enfantin de Jude et Sue. La fonction en est de rapprocher un peu plus les amants dans la diégèse et de les installer dans une relation de miroir, une relation exclusive qui les sépare du reste du monde en les enfermant dans leur propre univers. Leur désir de l’autre est en réalité le désir du même.

Quelle place reste-t-il alors pour l’amour charnel ? Lorsque Sue cède aux avances de Jude, c’est le signe que la fusion commence à s’étioler. Une certaine distance s’installe entre les protagonistes quand la jeune femme se positionne à la fois comme autre et objet du désir de son partenaire : cette séparation sera irréversible, laissant le réel s’infiltrer dans cet interstice de l’espace l’imaginaire, jusqu’à ce que s’accomplisse le dessein tragique. Le dernier roman de Hardy ne répond donc pas aux critères de l’amour courtois car il est purgé de tout érotisme 543 . L’idéal de la Dame s’est éteint avec Tess, dernière descendante des dames et des chevaliers nommés d’Urberville (T 384) car le statut de la femme tel qu’il est présenté dans Jude n’est plus le même que dans l’ouvrage précédent : l’objet féminin s’y affirme peu à peu comme sujet et, si Sue apparaît d’abord inaccessible – “tantalizing but inaccessible 544 ” – elle se fait plus humaine en devenant mère.

Il est vrai que les thèmes du deuil et de l’amour malheureux demeurent. De même, en revenant vers Phillotson, Sue s’offre comme objet à une puissance phallique, n’étant plus qu’un corps « vidé de toute substance réelle 545  ». Cependant l’amour courtois n’est pas ici simplement transposé dans une écriture moderne.

L’auteur met au premier plan les dysfonctionnements du lien social, dans un univers où la fonction paternelle toujours plus fragile se pare de tous les semblants. Ce faisant, il désagrège l’idéal courtois en une structure qui se réduit au narcissisme 546 et en montre le revers. Malgré les similitudes entre Jude et Sue, l’unité du couple est menacée : “But his grief at her incredulities returned” (J 184). L’impossibilité de leur union est inscrite dans le texte et sur les personnages. Le récit oscille donc entre l’idéalisation de leur amour – “mutual sensitiveness” (J 204) – et le rappel des interdits :

‘She lived in the same house with him, but on a different floor, and they saw each other little. (J 204)’

Ces moments partagés, lorsque Sue est sur le point d’épouser Phillotson, mettent fort bien en relief l’ambiguïté de leur relation. Quelques lignes plus bas, la structure d’oxymore s’affirme plus clairement, leur dernière pensée commune ne faisant que souligner l’imminence de leur séparation :

‘After breakfast they went out on an errand together, moved by the mutual thought that it was the last opportunity they would have of indulging in unceremonious companionship. (J 205, je souligne)’

La division est constitutive de leur intimité et n’est que la contre-partie du leurre narcissique :

‘The gaze as the object, cleft from the eye, is precisely what is dissimulated by the image in which one recognizes oneself, it is not something that could be present in the field of vision, yet haunting it from the inside. If it appears as a part of the image, as it occurs, for example, in the experience of the double, which has filled a whole library of romantic literature, it immediately disrupts the established reality and leads to catastrophe [...] 547 .’

Lorsque Sue comprend, après la mort des enfants, qu’elle a cru se voir en Jude et qu’elle sent le regard qu’il pose sur elle – c’est-à-dire qu’elle perçoit Jude comme autre 548  – la coupure signifiante lui interdit toute identification imaginaire à son double ; Sue doit s’accepter en tant que femme et « pas-toute », coupée de l’autre maternel et de son substitut, l’être aimé. Leurs voix se séparent aussi, comme avant leur rencontre : les dialogues se déroulent désormais entre Sue et Phillotson ou entre Jude et Arabella. Le texte se tisse de regards et de voix qui se font écho, se répondent, s’intercalent dans un dialogue – voire un diptyque – textuels au lieu d’un chant d’amour à l’unisson. Cette division est d’ailleurs mise à nu par la narration : Jude demeure le focalisateur principal, présent dans chaque chapitre, au contraire de Sue.

Quelques passages donnent l’illusion que la brèche peut se refermer, mais chacun de ces moments se déroule dans une église, c’est-à-dire le refuge de l’imaginaire, le lieu d’une foi en un amour absolu et d’une relation fusionnelle à l’image de l’amour du Christ : un tel amour ne peut se réaliser dans le réel sans que le sujet plonge dans les profondeurs du néant. C’est ce que nous montre Jude en choisissant de mourir à Christminster.

Tess fait le même choix que Jude. Elle refuse de céder à la loi du symbolique, préférant l’absence plutôt que de se voir divisée par le jeu du désir et de la satisfaction de ce désir. Lorsqu’elle finit par accepter la main d’Angel 549 , l’impossibilité de consommer le mariage à cause du secret qu’elle dévoile est un moyen inattendu de prolonger la cour que lui faisait ce dernier. L’absence a pour but de retarder le moment où l’un devra reconnaître l’étrangeté de l’autre et où le sujet devra céder une part de lui-même au désir de l’autre. Lacan rappelle d’ailleurs que l’amour courtois repose sur la fonction narcissique :

‘Vous savez que la fonction du miroir que j’ai cru devoir introduire comme exemplaire de la structure imaginaire se qualifie dans le rapport narcissique. Et on a assurément mis en évidence le côté d’exaltation idéale qui est expressément visé dans l’idéologie de l’amour courtois, c’est-à-dire son caractère foncièrement narcissique 550 .’

Sue parvient à cette « exaltation idéale » aussi longtemps qu’elle se dit aveugle à la différence sexuelle (J 177). Mais en épousant Phillotson, quoiqu’elle refuse ses avances, puis en cédant à Jude – bien que sans en arriver au mariage – elle met fin à toute possibilité d’identification avec la Dame éternellement absente et inaccessible de l’amour courtois. Au lieu de faire lien social et d’élever la femme à un rang que lui refuse la communauté 551 , Jude met en exergue sa soumission inévitable à l’ordre phallique à travers le sacrifice de Sue.

Nous ne sommes donc pas là dans le registre de la sublimation car la modernité naissante donne à l’auteur d’ôter un peu plus le voile sur le réel. Le narcissisme est désormais privé de « l’artifice de la construction courtoise 552  » étant donné que ce qui prime dans la relation qu’entretiennent les deux protagonistes de Jude , c’est la recherche d’une unité parfaite, l’union du même au même. L’amour se construit sur le mode d’une relation de miroir, sur l’axe imaginaire qui masque l’absence et répond en partie au désir. Sue est ainsi parfois perçue comme un personnage dans un tableau, une image idéale – l’image dans le miroir :

‘Then a wave of warmth came over him as he thought how near he stood to the bright-eyed vivacious girl with the broad forehead and pile of dark hair above it; the girl with the kindling glance, daringly soft at times – something like that of the girls he had seen in engravings from paintings of the Spanish school. (J 156, je souligne) ’

La relation exceptionnelle entre Jude et Sue, leurs attitudes enfantines, rappellent les mots de Denis Vasse au sujet de l’enfant qui tente d’établir une continuité avec le corps de la mère en portant les mains à sa bouche : « Cette tentative d’auto-restauration étaye le rêve et le leurre du narcissisme. » C’est un « [e]ssai de négation de la séparation », par un appel à « la fascination de l’image spéculaire 553 . »

La scène où Sue revêt les habits de Jude souligne de manière flagrante la volonté des protagonistes de nier leurs différences. Tess tente, elle aussi, de dissimuler sa féminité alors qu’elle est en route vers Flintcomb-Ash, mais elle cherche par là à se soustraire aux regards des hommes plutôt qu’à s’identifier à eux, c’est là une stratégie de dissimulation et non pas de travestissement qui, pour Hervé Castanet, équivaut à « une stratégie du leurre inséparable d’une intersubjectivité ravalée à sa pure dimension imaginaire 554 . » Sue, au contraire de Tess, voudrait « boucher le trou dans l’imaginaire (-φ), qui procède du symbolique, par de l’imaginaire rendu consistant 555 . »

Pour étayer son propos au sujet du travestissement de l’abbé Choisy et de la perversion de son comportement, Hervé Castanet cite Lacan :

‘le sujet s’épuise à poursuivre le désir de l’autre, qu’il ne pourra jamais saisir comme son désir propre, parce que son désir est le désir de l’autre. C’est lui-même qu’il poursuit 556 .’

Seul l’axe imaginaire régit ce type d’intersubjectivité qui relève d’un « amour narcissique », où « c’est dans les yeux de l’autre » que le sujet « se mire et s’admire 557  ». Les deux protagonistes recherchent dans cette relation de miroir un refuge qui les garderait en dehors de la société, voire hors du temps. Leurs différences mêmes ne parviennent pas à les séparer :

their difference of opinion on conjectural subjects only drew them closer together on matters of daily human experience [...] and he could scarcely believe that time, creed, or absence, would ever divide him from her 558 . (J 184, je souligne)’

Une telle forme de narcissisme aurait dû disparaître à l’âge adulte :

‘[...] this fantasy of integrity and unity, along with the difference inherent to it, must be given up. It nevertheless returns in adult life as a means of mitigating the narcissistic wound contingent upon giving up the maternal body, above all in the guise of the constitutive deception and pleasurable illusion of love relationships 559 .’

Mais Sue et Jude vont au contraire entretenir cette relation narcissique, préférant vivre en couple de leur propre chef plutôt que par une décision qui serait inscrite sur l’état civil. Pour Marjory Garson, Sue joue le rôle de la mère pour Jude : “she marries, and eventually deserts Jude, for the man who initially served as a father to him 560 ”. Jude désire donc s’unir à Sue pour retrouver le corps maternel. L’interchangeabilité des deux protagonistes – “their structural interchangeability 561 ” – permet à ce désir de fusion de devenir réalité quoique de façon éphémère. Grâce à cette intersubjectivité, Sue peut subsister en tant qu’individu ; le reflet qu’elle perçoit en Jude offre la seule image qu’elle accepte d’elle-même, une image où le féminin se fait subtil.

Les protagonistes de Jude recherchent un état fusionnel inaccessible. Cet impossible est suggéré par le cadre qu’implique la mention des gravures d’artistes espagnols (J 156) : l’image est cadrée, l’idéalisation du personnage est limitée, la sublimation est vouée à l’échec. Les contraintes et les interdits briment les protagonistes : l’histoire familiale, le rang social, leur lien de parenté. Si la tradition courtoise persiste dans cette présentation d’une femme digne d’un tableau de maître, elle est sans cesse remise en question par l’attitude anti-conformiste de Sue et sa volonté finale de nier ce qu’elle a entrevu du réel. La dénégation donne lieu à un renversement de l’acte de sublimation : ce n’est pas la jeune femme mais Jude – le poète et non la Dame – qui, par sa mort, s’inscrit dans l’absence et l’inaccessibilité.

Ainsi, le miroir se brise quand Sue y lit l’horreur de la mort de ses enfants. Elle en détourne alors le regard et se réfugie dans un imaginaire qui la place comme objet du désir de Phillotson et soumise – assujettie – au Nom-du-Père devenu tout-puissant 562 . La résolution de l’histoire s’éloigne alors radicalement de la comédie shakespearienne pour rejoindre la tragédie.

Notes
535.

Voir supra, p. 119 (J 104).

536.

Sue et Jude sont présentés comme les deux moitiés d’un seul et même être. Cette image renvoie au concept d’androgyne tel que le définit Aristophane dans son discours sur l’amour dans Le banquet de Platon : « Sachez d’abord que l’humanité comprenait trois genres, et non pas deux, mâle et femelle, comme à présent ; (…) en ce temps-là l’androgyne était un genre distinct et qui, pour la forme comme pour le nom, tenait des deux autres, à la fois mâle et femelle … » (Platon, Le banquet, Paris, Les Belles Lettres, 1938, p. 29). Ces êtres doubles possédaient une force telle et montraient tant d’orgueil que Zeus décida de les séparer : “He cut them in two, like a sorb-apple which is halved for pickling, or as you might divide an egg with a hair” (Ian Ousby, “The Convergence of the Twain: Hardy’s alteration of Plato’s parable” (pp. 780-796), in Modern Language Review (77), 1982, p. 781, cite Platon, The Dialogues of Plato, vol. 1, Oxford, 1953, p. 522). Ian Ousby – dans son article sur l’inévitable rencontre entre l’iceberg et le Titanic dans le poème de Hardy – souligne le fait que cette division de l’androgyne introduit la sexualité dans les relations humaines. Il ajoute que cette influence platonicienne sur l’écriture hardienne est inséparable de celle de la Bible : “The Symposium is not Hardy’s only source for this concept of affinity based on original identity, since Plato’s parable of the disunited hermaphrodites closely resembles other myths about human origins, and, like so much Platonic thought, became intertwined with Christian traditions” (Ibid., p. 782). Les deux moitiés de l’androgyne trouvent ainsi un écho dans le Livre de la Genèse, lorsque Dieu crée la femme en prenant la côte d’Adam (Gen 2 : 21-22).

537.

Kramer, in Kramer, p. 172.

538.

Voir supra, p. 98 sq.

539.

Un poème de Hardy s’intitule “The Two Rosalinds”, in Hardy, The Collected Poems , pp. 185-187.

540.

“Often at this hour after dusk he would enter the silent Close […] and wish he had nothing else to do but to sit reading and learning all day what many of the thoughtless inmates despised” (J 171).

541.

Voir supra, pp. 151 sq..

542.

Si l’on s’en réfère une nouvelle fois à une interprétation platonicienne, cette faille pourrait aussi être lue comme l’emblème de la division de l’androgyne. Cette lecture contribuerait à éclairer la masculinité de Sue et la féminité de Jude, à la manière de Viola et Sébastian dans Twelfth Night réunis artificiellement à travers le personnage de Cesario.

543.

Le seul jeu érotique est mis en place par Arabella dont le personnage est à mille lieux d’évoquer celui de la Dame. Parce qu’Arabella est massivement présente en tant que corps féminin, la modalité de l’absence doit être réintroduite par le biais de l’ellipse narrative afin de mettre à distance l’acte sexuel.

544.

Garson, p. 170.

545.

Voir supra, p. 214.

546.

Voir infra, p. 226.

547.

Dolar, in Zizeck p. 15.

548.

“I am not his wife”, dit-elle à Arabella malgré la présence de Jude (J 416). Dans une telle conjecture, Jude se voit refuser la place de l’autre avec qui l’identification serait possible par un rapport entre le locuteur et celui à qui il s’adresse ; il est un autre, un étranger exclu du cercle narcissique autour de la personne de Sue.

549.

Tess tente de repousser éternellement cet instant : “I don’t want to marry. I have no thought o’doing it. I cannot. I only want to love you” (T 173).Ses paroles trouvent leur écho dans Jude lorsque Sue avoue qu’elle préfère préserver un amour non charnel – un amour courtois : “But I think I would much rather go on living always as lovers, as we are living now, and only meeting by day” (J 307). Dans les deux cas ce désir s’avère utopique : l’amour charnel prend possession des corps et Tess cèdera à Alec, quand bien même elle demeure absente pour Angel.

550.

Lacan, « L’amour courtois en anamorphose », Séminaire VII, pp. 180-181.

551.

Voir supra, p. 220 (voir aussi infra, p. 389, n. 258). La soumission de Sue est décrite de façon plus nette encore que pour Tess qui demeure l’intérêt principal du lecteur dans le précédent roman. Sue est sacrifiée dans la diégèse et sa trajectoire marque une régression vers le conformisme. Tess parvient au contraire à inaugurer un nouveau regard sur elle-même et à démontrer le courage de ses convictions.

552.

Lacan, « L’amour courtois en anamorphose », Séminaire VII, p. 180.

553.

Vasse, p. 98.

554.

Castanet, p. 44.

555.

Ibid., p. 53.

556.

Castanet, p. 46, cite Lacan., Les Ecrits Techniques de Freud , Paris, Seuil, 1975, pp. 246-247.

557.

Ibid. p. 40.

558.

Cette dernière phrase est un écho à l’Epitre aux Romains 8 : 38-39 – “For I am convinced that there is nothing in death or life, in the realms of spirit or superhuman powers, in the world as it is or the world as it shall be, in the forces of the universe, in heights or depths – nothing in all creation that can separate us from the love of God in Christ Jesus our Lord. ”– et met en relief la façon dont Jude idéalise Sue, l’installant en lieu et place de Dieu, et annonçant à son insu le sacrifice auquel elle se soumettra.

559.

Jude diffère nettement de certains textes de l’époque victorienne tels que Jane Eyre ou North and South en ce sens que le roman de Hardy ne se termine pas sur une union harmonieuse entre deux êtres mais sur une fracture définitive et une réaffirmation cruelle de la loi sociale qui assujettit l’individu (au sujet du roman traditionnel, voir aussi infra, p. 310 et p. 369).

560.

Garson, p. 172.

561.

Ibid., p. 175.

562.

Voir supra, p. 182.