Les thèmes abordés par Tess et Jude annoncent les bouleversements de l’époque contemporaine et l’effondrement d’un système de valeurs qui jusque-là garantissait une certaine cohésion sociale. Annie Ramel montre fort bien en quoi l’ère victorienne, dans sa tentative d’occulter « le déclin du Nom-du-Père 675 » provoqué par l’avancée de la science, se fait la « civilisation du plein 676 ». L’Autre désormais manquant, barré par le nouveau discours scientifique, vient à être comblé par l’objet. L’idéologie morale et religieuse dont le poids influe sur la destinée de Tess et de Jude est un rempart qui, par le « déferlement de l’Imaginaire 677 » – auquel Sue se soumet entièrement à la fin – voudrait cacher les failles de l’édifice victorien. Conrad dénonce cette même illusion de complétude au cœur du colonialisme :
‘L’impérialisme participe de la même logique, puisqu’il est désir de conquête, insatiable boulimie qui voudrait tout avaler, des territoires, des populations, des richesses, de l’ivoire… L’impérialisme, par nécessité structurale, n’est jamais repu, car il est une stratégie mise en place pour servir de bouchon à la castration 678 .’L’intersubjectivité, traitée plus particulièrement au travers de la question du mariage, permet à Hardy de mettre le doigt sur les dangers de l’idéologie dominante. Chez Conrad l’intersubjectivité sort du carcan d’une communauté géographiquement délimitée ; l’univers clos du Wessex est remplacé par un espace hors-cadre qui s’étend aux confins de la terre, d’un bout à l’autre du monde, de l’Amérique Latine à la mer de Chine en passant par la Russie. L’horizon glané par le régionalisme hardien qui donne aux romans leur signe distinctif se craquelle en une multitude de lieux et c’est le terme de “solidarity 679 ” que, dans la préface à The Nigger of the “Narcissus” , Conrad utilise “to denote the community of human interests which art expresses 680 ”. L’espace et le temps se disloquent dans des œuvres telles que Lord Jim ou Under Western Eyes : les personnages sont réduits à l’exil, la chronologie se fracture en de multiples prolepses et analepses, et la narration éclate entre les différents narrateurs.
Le passage dans lequel Conrad emploie ce mot mérite d’être cité car la solidarité mise en œuvre par l’art touche au tragique :
‘[It] speaks to our capacity for delight and wonder, to the sense of mystery surrounding our lives; to our sense of pity, and beauty, and pain; to the latent feeling of fellowship with all creation – and to the subtle but invincible conviction of solidarity that knits together the loneliness of innumerable hearts, to the solidarity in dreams, in joy, in sorrow, in aspirations, in illusions, in hope, in fear, which binds man to each other, which binds together all humanity – the dead to the living, the living to the unborn 681 .’Ces lignes font écho à la définition de la tragédie selon Aristote 682 : la pitié et la peur sont indispensables à l’adhésion du public et sur ces émotions reposent l’universalité de l’œuvre ainsi que sa dimension cathartique.
Hardyrevendique cette même notion d’universalité dans sa préface à Jude 683 . De plus ses romans éveillent les émotions que mentionne Conrad : on pense par exemple à l’enfant de Tess prénommé “Sorrow”, ce petit être qui vient au monde sans jamais vivre réellement. Dans la dernière strophe du poème “Tess’s Lament 684 ”, la jeune femme voudrait effacer toute trace de son existence : “I’d have my life unbe” dit-elle, mettant en mots la pulsion de mort qui conduit le personnage de Tess au gibet. Quant à Jude, il voudrait ne jamais être né et reprend à son compte les paroles de Job. Enfin, pour les deux auteurs il semble nécessaire que le « héros » – selon la terminologie aristotélicienne, puisque la teneur de l’héroïsme est évidée dans leurs romans – soit un individu isolé, vivant l’exclusion ou la différence, afin paradoxalement de mieux faire naître ce sentiment de « solidarité » : sommes-nous tels que lui ? Est-il l’un des nôtres, “one of us” comme le répète Marlow ?
Ces remarques nous amènent à nous demander si, à la lumière de l’écriture conradienne, nous ne pourrions pas – sur le modèle de Ian Watt qui a tenté de situer Conrad dans le dix-neuvième siècle – replacer Hardy le romancier, et non pas seulement le poète, dans le vingtième siècle. Plusieurs critiques ont manifesté un intérêt commun pour ces deux écrivains : c’est le cas de Albert J.Guerard, Tony Tanner, Ian Watt, John Hillis Miller, Jakob Lothe 685 . De plus, des auteurs tels que D. H. Lawrence ou Virginia Woolf, pionniers dans l’écriture de la modernité au même titre que Conrad, se sont penchés sur les romans de Hardy 686 .
Thomas Hardy et Joseph Conrad pourraient sembler fort différents si l’on ne tenait compte, par exemple, que de l’intérêt de l’un pour l’étude des personnages féminins ou de l’attrait de l’autre pour les récits d’aventure. Dans les deux cas la perspective est bien trop limitée et fausse tout jugement de leur art. Cependant, des points communs apparaissent lorsque l’on s’intéresse au point de vue des deux auteurs vis-à-vis de leur tâche d’écrivain. Ainsi, Conrad connaissait et appréciait l’œuvre de Walter Pater 687 et de Schopenhauer 688 , deux penseurs qui ont influencé Hardy ; mais chacun sut s’en détacher.
Pour Schopenhauer comme pour Conrad l’artiste est donneur de sens dans un univers qui n’en a pas 689 ; l’affect a la primauté sur la raison 690 . Tous deux affirment également le caractère paradoxal de la conscience humaine 691 ; ce vacillement du sujet qui, dans Lord Jim , se fait aussi objet du regard de l’autre est par ailleurs à l’image de ce qui se passe dans Tess et Jude . On peut donc avancer que, plus audacieusement que Hardy encore, “[t]he modernity of Conrad is to rewrite through powerful fictions Schopenhauerian concepts in terms of creativity 692 .”
Dans un mouvement qui rappelle celui de Nietzsche passant du concept de “will-to-live” à celui de “will-to-power”, Conrad s’éloigne de la notion de “Immanent Will” qui chez Hardy s’apparente à la vision schopenhauerienne de l’existence, pour avancer celle de “knitting machine 693 ”. Le terme « machine » est celui qu’emploie le narrateur de “An Outpost of Progress” pour décrire l’état d’aliénation des deux personnages principaux :
‘Society, not from any tenderness, but because of its strange needs, had taken care of those two men, forbidding them all independent thought, all departure from routine; and forbidding it under pain of death. They could only live on condition of being machines 694 .’Edward Said souligne à son tour le rôle de cette image dans l’écriture conradienne :
‘The machine, [Conrad] had written Graham, knits us in and out 695 – thought, perception, everything. In accordance with its devilish activity, men become the machine’s efficient servants, existing under its strictures, colonizing whatever is dark and different from them. Remarkably enough, though, the knitting machine itself was Conrad’s version of what Schopenhauer had uncompromisingly distinguished as principium individuationis, the principle of differentiation that is man’s – and not the universe’s – power. Without thought, Schopenhauer had said, man is in almost mystic and passive community with shadowy truth. In that state man is at one with the unextended, unimagined, and formless will to live. Yet as soon as man begins to use his intellect, he asserts his ego and becomes objectified will. The highest form of objectified will is civilized man [...]. There, in Schopenhauer, we essentially have Conrad’s reasoning, with the single difference, as I said, of the knitting machine – an outer rather than a native human cause of the whole process 696 . ’La machine se dessine déjà chez Hardy avec l’émergence du chemin de fer qui quadrille et remodèle le Wessex ; de même le social fonctionne tel un filet entre les mailles duquel passe le moindre élément dépeint dans le récit. Avec Conrad, c’est l’impérialisme qui, du haut de ses fortifications imaginaires, vient conquérir des lieux inconnus. Les participants d’une telle idéologie sont eux-mêmes réduits à l’état de machine comme Carlier et Kayerts dans “An Outpost of Progress” ou comme Brierly qui doit disparaître dès lors que le mécanisme s’enraye car la machine cesse d’être distincte des hommes qui lui sont dévoués 697 .
Conrad et Hardy sont ainsi tous deux modernes car aux dieux dévorateurs se sont substituées d’autres forces : “dark powers” (LJ 698 304, 345), “opposing forces” (J 409). Conrad apparaît néanmoins plus nettement ancré dans la modernité dont l’essor est indissociable du développement industriel et technologique de la fin du dix-neuvième siècle – essor entériné par le déclenchement de la première guerre mondiale, l’illustration même de la machine dans toute son horreur 699 .
Les deux auteurs ont en outre en commun leur méfiance à l’égard du réalisme qui selon Hardy ne relève pas de l’art 700 . Conrad avance dans sa préface à The Nigger of the “Narcissus” que les grands courants littéraires du dix-neuvième siècle ne permettent jamais de faire justice à une œuvre :
‘It is evident that he who, rightly or wrongly, holds by the convictions expressed above cannot be faithful to any one of the temporary formulas of his craft. The enduring part of them – the truth which each only imperfectly veils – should abide with him as the most precious of his possessions, but they all: Realism, Romanticism, Naturalism, even the unofficial sentimentalism (which like the poor, is exceedingly difficult to get rid of); these gods must, after a short period of fellowship, abandon him – even on the very threshold of the temple – to the stammerings of his conscience and to the outspoken consciousness of the difficulties of his work 701 . ’Ian Watt suggère que Conrad se situe à la croisée de ces courants littéraires. Il ne rejette ni n’applique à la lettre aucun d’entre eux :
‘Conrad refuses to accept the aesthetic and symbolic doctrines of the separation of art from life, and he maintains his own version of a correspondence theory of literature : after all, what we are “made to see” is the real world of man and nature. Nevertheless the conclusion of the preface is not inconsistent with the art-for-art’s-sake attitude of the primacy of aesthetic response to momentary experience 702 .’Conrad, pas plus que Hardy auparavant, ne théorise mais donne son opinion personnelle sur le travail de l’écrivain – “his own personal feelings about writing fiction 703 ”. L’un comme l’autre était “usually skeptical and hesitant to embrace wholeheartedly any of the various systems of ideas current in [their] days 704 ”. Leur style naît de leur habileté à créer des œuvres nouvelles tout en s’inspirant des écrits du passé : Tess est influencé par les traditions courtoise et pastorale, Jude a quelque chose d’épique, Lord Jim rappelle le roman d’aventures et Under Western Eyes emprunte à la confession. Le style conradien, “a crossbred of many genres, visions and voices 705 ”, n’est peut-être pas si loin du style de Hardy, émaillé de voix du passé, de citations bibliques et de bribes de poèmes anonymes 706 .
Il est possible d’aller plus loin encore et de percevoir d’autres échos stylistiques. Ainsi, dans sa célèbre préface, Conrad emploie une expression qui annonce les vues voilées par la brume ou rendues floues par trop ou pas assez de lumière qui colonisent le texte de Lord Jim :
‘And so it is with the workman of art. Art is long and life is short, and success is very far off. And thus, doubtful of strength to travel so far, we talk a little about the aim – the aim of art, which, like life itself, is inspiring, difficult – obscured by mists [...].Cette citation de Conrad offre un éclairage saisissant de l’œuvre de Hardy. Bien sûr, l’expression “obscured by mists” fait référence à Jim que Marlow perçoit à maintes reprises “under a cloud”, mais elle renvoie tout autant au personnage de Jude qui se laisse gagner par l’obscurité. La fin de la citation multiplie les allusions au mode visuel pour en arriver à un ultime regard, puis au bruissement de la voix, et enfin à un sourire silencieux : n’est-ce pas là une retranscription inattendue de la fin de Jude ? Le « repos éternel » n’est-il pas semblable à ce qui attend le protagoniste lors de son ultime retour à Christminster, ainsi que l’auteur qui abandonne la carrière de romancier ?
D’autre part, l’instant que Conrad appelle “a moment of vision” rappelle un poème de Hardy intitulé “Moments of Vision 708 ” : le cœur de l’homme et sa pensée sont comparés à un miroir, mais on peut étendre la métaphore à la littérature. Or il apparaît au travers de ces miroirs que sont les préfaces et les romans de ces deux auteurs que, quoiqu’ils n’aient pas à première vue d’affinités, ils ont une façon similaire d’aborder leur art. Cela se dessine plus clairement encore lorsque l’on considère le choix des titres. Ainsi, Jude the Obscure n’est pas si différent de Lord Jim , car dans les deux cas il s’agit d’un prénom dont les sonorités sont proches et qui est à chaque fois accompagné d’un complément suggérant l’ironie du texte : Jude invite le lecteur à dialoguer avec un personnage à jamais insaisissable par son obscurité, Lord Jim ne cesse de commémorer l’échec du personnage dans sa volonté de devenir un héros. « L’intrigue du roman consiste à montrer l’échec à reconquérir cette unité imaginaire 709 » que recherche chacun des protagonistes. Le désir s’avère être la cause de tous les maux dans les deux récits 710 .
Confronté à la souffrance de l’humanité, Conrad réclame enfin l’indulgence au jour du jugement à l’aide d’un vocabulaire qui ne peut que faire écho à la tonalité tragique de Tess et Jude , dont l’auteur semble en appeler à la compassion du lecteur :
‘Since the Day of Creation two veiled figures, Doubt and Melancholy, are pacing endlessly in the Sunshine of the world. What humanity needs is not the promise of scientific immortality, but compassionate pity in this life and infinite mercy on the Day of Judgment 711 .’Une étude comparative de Thomas Hardy et Joseph Conrad est donc susceptible de révéler quelques perles cachées, à la fois chez le premier dont les romans méritent d’être redécouverts et lus sous une nouvelle lumière, et chez le second dont les œuvres sont souvent d’une richesse déroutante. Nous commencerons par explorer le texte de Lord Jim , écrit cinq ans seulement après Jude the Obscure – après que Hardy, déçu par la violence des critiques à l’encontre de Jude et par l’ignorance du public 712 , décida de se tourner vers la poésie –, avant de nous pencher sur Under Western Eyes : deuxromans de Conrad où l’objet regard, auquel nous nous sommes intéressés au cours de notre travail sur Hardy, joue un rôle essentiel et où se manifeste la question du langage et de la voix.
Ramel, p. 34.
Ibid., p. 79.
Ramel, p. 83.
Ibid., p. 84.
Preface to The Nigger of the “Narcissus” , p. xl.
Watt, Conrad in the Nineteenth Century, p. 81. Ian Watt souligne l’emploi particulier de ce terme de “solidarity”: “whereas its meaning is normally restricted to collective human activities, the preface uses it in a much wider sense to denote man’s common experience in general, whether collective or individual, and whether concerned with the human or natural world” (Ibid., p. 81).
Preface to The Nigger of the “Narcissus” , p. xl.
Voir supra, p. 47 sq..
Jviii.
Hardy, The Collected Poems , p. 162.
Albert J. Guerard, Thomas Hardy : The Novels and Stories, Harvard University Press, Cambridge, 1949 (in Tess , Norton, pp. 425-429). Tony Tanner, “Butterflies and Beetles – Conrad’s Two Truths,” Chicago Review 16, Winter-Spring 1963, pp. 123-140. Les ouvrages et articles de Watt, J. Hillis Miller et Lothe sont cités dans la bibliographie.
Nous pourrions ajouter Henry James à cette liste, mais son jugement envers Hardy fut nettement défavorable. Dans une lettre à Stevenson, il écrit : “The pretence of “sexuality” is only equalled by the absence of it, and the abomination of the language by the author’s reputation for style” (in Tess , Norton, p. 388). Il fut plus clément, voire admiratif, envers Conrad, décrivant The Nigger of the “Narcissus” comme “the finest and strongest picture of the sea and sea life that our language possesses – the masterpiece in a whole great class” (in F. E. Hardy, p. 246).
Voir Bullen, p. 213 : “Hardy’s familiarity with Pater’s view of the persistence of paganism is beyond question.”
Voir supra, p. 99.
Moutet, “Jim’s trial : Sympathy, or the new voice of conviction”, p. 76 : “I have already said, after Schopenhauer and Conrad, that only artists can give meaning to a set of events.” Hardy pourrait être ajouté à cette liste de noms.
Ibid., p. 78.
Ibid., p. 80 : “[Marlow] and Jim are only two characters seen from outside. In fact, [Conrad] gives there a concrete illustration of what Schopenhauer has identified as the fundamental paradox of human conscience : that of being at the same time a subject, the place of the Will’s display (the place of the manifestation of the thing-in-itself) and an object in the other’s representation / idea of the world.”
Ibid., p. 81.
Voir Watts, 20th Dec. 1897, pp. 56-57. Philip M. Weinstein avance que la question de l’identité chez Conrad trouve un écho dans la pensée de Schopenhauer, et plus particulièrement dans sa conception de la volonté comme antérieure à toute acquisition cognitive (Philip M. Weinstein, The Semantics of Desire : Changing Models of I dentity from Dickens to Joyce, Princeton, Princeton University Press, 1984, in Lord Jim, Norton, p. 464). Ce commentaire met en lumière un aspect quelque peu déterministe de l’écriture conradienne où le passé ne peut être effacé.
Conrad, “An Outpost of Progress”, in Heart of Darkness and Other Stories, p. 8. Conrad met d’ailleurs en évidence l’allusion à cette « machine à tricoter » qui travaille derrière le récit . Au sujet de la langue que le personnage de Kayerts tire irrévérentieusement au directeur (“And, irreverently, he was putting out a swollen tongue at his Managing Director.” “An Outpost of Progress”, op. cit., p. 34), il écrit : “And the machine will run on all the same […].” (Watts, 14 Jan. 98, p. 65)
Watts, 20th Dec. 1897, p. 57 : “It knits us in and it knits us out. It has knitted space, time, pain, death, corruption, despair and all the illusions – and nothing matters.” Cette vision renvoie à celle de Hardy et de Schopenhauer car y est soulignée l’inévitabilité de la souffrance inhérente à toute existence dans un univers indifférent.
Said, The Fiction of Autobiography, p. 139.
“For the purposes of Conrad’s further arguments, nevertheless, the machine becomes almost indistinguishable from the men who serve it.” Ibid., p. 139.
Dans les références, on conviendra d’utiliser LJ pour Lord Jim (Harmondsworth, Penguin, 1989).
Cf. Nouss, p. 72 : l’auteur explique que la technologie moderne élabore sa propre logique, indépendamment de celle de la raison, et part à la recherche de prouesses techniques qui s’appellent par exemple Hiroshima ou Auschwitz.
Voir supra, p. 71. Conrad partage un point de vue similaire : “Fiction is history, human history, or it is nothing. But it is also more than that, being based on the reality of forms and the observation of social phenomena, whereas history is based on documents, and the reading of print and handwriting – on second-hand impressions. Thus fiction is nearer truth.” (Conrad, Notes on Life and Letters, p. 17)
Preface to The Nigger of the “Narcissus” , pp. xlii-xliii. Dans une lettre à Cunninghame Graham, Conrad parle de la foi et des croyances à l’aide d’images similaires à celles employées dans la Préface pour évoquer les courants littéraires à ceci près que le voile est devenu brume, selon une image qui renvoie le lecteur à Lord Jim : “Faith is a myth and beliefs shift like mists on the shore; thoughts vanish; words, once pronounced, die; and the memory of yesterday is as shadowy as the hope of to-morrow – only the string of my platitudes seems to have no end.” (Watts, 14 Jan. 98, p. 65) Il en ressort que, chez Conrad, l’art est un objet fragile est vacillant dont les fruits peuvent se briser comme les souvenirs puisque les mots en sont l’unique recours malgré leurs déficience : “Half the words we use have no meaning whatever and of the other half each man understands each word after the fashion of his own folly and conceit.” (Ibid., p. 65) La « vérité » à laquelle aspire l’artiste est donc insaisissable : “And imagine Truth is just round the corner like the elusive and useless loafer it is?” (Ibid., 5th Aug 1987, p. 45)
Watt, Conrad in the Nineteenth Century, p. 88.
Ibid., p. 88.
Schweik, in Kramer, p. 54. Cette remarque sur Hardyfait écho à ce que dit Watt au sujet de
Conrad : “the main quality of his mind was not simplicity but its opposite, scepticism” (Watt, Conrad in the Nineteenth Century, p. 77).
Paccaud-Huguet, “Gaze, voice and the will to style in “Karain” ”, p. 12.
Sur l’intertextualité dans Jude , voir supra, p. 107 sq.. Pensons aussi à ce que nous avons dit du régionalisme, du naturalisme, du romantisme et bien entendu de la tragédie dans Jude (voir supra, p. 12 sq.) et dans Tess (voir supra, p. 198 sq.).
Preface to The Nigger of the “Narcissus” , p. xliv, je souligne.
Voir supra, pp. 208-209. Virginia Woolf souligne la force de certains passages des romans de Hardy : “His own word, “moments of vision,” exactly describes those passages of astonishing beauty and force which are to be found in every book that he wrote.” (Woolf, in Tess , Norton, p. 401).
Paccaud-Huguet, « Conrad, un moderne ? », 1992, p. 121.
Le désir du protagoniste de Jude pour l’autre féminin est mis à nu par Hardy. Le narrateur ne cache pas l’influence des femmes sur le destin de Jude : “Strange that his first aspiration – towards academical proficiency – had been checked by a woman, and that his second aspiration - towards apostleship – had also been checked by a woman” (J 259). Ces dernières demeurent à jamais énigmatiques et Sue en est, à cet égard, la plus apte représentante. Dans Lord Jim , l’énigme reste entière, d’autant plus que la présence féminine y est fort limitée : Jewel est l’étrangère, celle qui n’est ni blanche, ni une indigène au Patusan. Le narrateur ne fait que marquer plus clairement encore la distance qui sépare les sexes et fige les femmes dans leur inaccessible altérité (LJ 247). Les femmes sont pour Marlow et son auditoire (“we”) de l’autre côté, sur le versant du réel, au-delà des semblants.
Conrad, Notes on Life and Letters, p. 69.
Cf. J vii. Dans une lettre du 19 Mai 1902 à Arthur Symons, Hardy écrit : “A growing sense that there is nobody to address, no public that knows, takes away my zest for production. The few who do know are submerged in the mass of imbecilities” (The Collected Letters, vol. 3, p. 21).