II. Lord Jim  face à Jude .

A. Lord Jim  : brillance obscure.

Lord Jim est un texte où s’animent des effets de lumière. Tantôt les ombres se font plus denses, tantôt l’éclat du soleil est éblouissant. Le clair-obscur revêt le roman de mystère et d’incertitude. Au cœur de cette indécision, obscured by mists,” le personnage de Jim s’avère emblématique. Le choix d’un narrateur intra-diégétique, Marlow, a pour conséquence de ne pas dissiper les ombres qui pèsent sur le protagoniste, alors que Hardy, plus fidèle à la forme du roman victorien, opte pour un narrateur omniscient et anonyme malgré sa sympathie pour Jude et Tess.

A maintes reprises dans Lord Jim , Marlow évoque son incapacité à discerner la silhouette du protagoniste, de même qu’il avoue son impuissance à comprendre Jim. Ces difficultés de perception ont pour effet de soulever la question de la voix et du regard dans un récit où est mis en scène un personnage qui toujours cherche à voir et à entendre, sous le regard insistant d’un narrateur qui toujours parle et écoute.

Cet aspect du roman implique d’autres éléments de réflexion, tels les jeux de miroir entre les personnages, le statut du protagoniste, la fiabilité du narrateur, et l’enjeu de l’écriture conradienne elle-même. Afin d’évoquer ces différents aspects de Lord Jim , nous entreprendrons de mettre en évidence la place que prennent ces deux modes de perception dans le texte. Nous tenterons ensuite de voir en quoi Conrad parvient à faire de Jim un personnage complexe et à aller au-delà des considérations psychologiques pour soulever des questions relatives au langage et à la création littéraire.