Entre Lord Jim et Under Western Eyes le lecteur peut déceler les signes d’un changement qui n’est pas sans évoquer l’évolution qui conduit de Tess à Jude : l’écriture semble reposer, dans les premiers textes, sur la modalité du regard pour s’orienter doucement sur le versant de la voix. A la fin des romans de Hardy, Tess se trouve réduite à l’état d’objet qu’on regarde, représentée par le drapeau noir, alors que le lecteur ne peut se défaire du sourire de Jude qui dans son mutisme se fait porteur de l’objet voix. En ce qui concerne l’œuvre de Conrad, Lord Jim peut être qualifié de roman d’ombre et de lumière, de fiction sur le regard :
‘Arguably, the text of Lord Jim is the locus where such a problematic of vision and representation is explored, oscillating as it is between the urge to see and the impossibility to achieve direct and clear vision, thus pointing to the crucial function of the gaze. Convincing evidence of Conrad’s consistency in tackling the question, is that not only are vision and sight open thematic concerns in the novel [...], they become central to the working of the narrative strategy, and most of all raise the question of the ethics of reading 890 .’Avec Under Western Eyes tout est régi par les lois du langage, y compris ce qui touche au regard. Ainsi, le professeur de langues écoute, retranscrit, traduit, mais il regarde aussi, et avec insistance qui plus est. L’écriture et la lecture sont les intermédiaires entre la voix et le regard. En effet, si le titre met l’accent sur la modalité visuelle et si le roman relate nombre d’échanges de regards, le récit est, somme toute, rythmé par de multiples dialogues, le plus souvent très longs et eux-mêmes ponctués de silences. C’est par cette question du langage et de sa fonction que nous initierons le dialogue entre les deux auteurs.
Maisonnat, p. 11.