Application à la forme des animaux puis des plantes

À la fin des années 1940, pour traiter mathématiquement de la morphologie, Rashevsky ajoute donc ce qu’il appelle le principe des « systèmes métabolisants et propulsés par leviers » 332 . « Plus généralement, dit-il, on peut postuler que la forme de tout organisme est déterminée par les conditions requises pour que certaines fonctions mécaniques et physiologiques soient mises en œuvre. » 333 En effet, dans tout organisme animal ou végétal, en plus du métabolisme ou de l’éventuel principe de coordination nerveuse, il lui semble qu’il y a toujours cette fonction mécanique de levier (œuvrant à échelle macroscopique : ce qui la distingue donc bien des approches mécaniques et biophysiques réductrices antérieures) qui se manifeste. Là-dessus il n’avance aucune preuve dans la mesure où, comme nous l’avons dit, l’idée même de principe mathématisable intermédiaire nécessite de recourir davantage à la pure observation et à l’induction au niveau macroscopique plutôt qu’à des scénarios d’emblée analytiques et constructifs. Il ne s’agit donc aucunement d’un modèle fictif. Or, Rashevsky, fidèle à son point de vue unitaire, soutient que cette fonction de levier existe encore pour la plante même si son mouvement se réduit au repos, c’est-à-dire à un mouvement de vitesse nulle : lorsque l’on s’intéresse à la mathématisation de la forme des plantes, on peut donc rajouter le principe d’une statique globale aux équations habituelles rendant compte du métabolisme. C’est précisément ce qu’il fait dans le chapitre 49 de l’édition de 1948 et intitulé « Form of plants » 334 .

Dans ce chapitre, fort de cette nouvelle autorisation qu’il s’est donnée de recourir à des principes formels à échelle méso- ou macroscopique, Rashevsky se contente de fournir certaines des équations aux dimensions qui lui paraissent plausibles en fonction de plusieurs de ces principes formels : 1- pour des raisons apparemment fonctionnelles le flux métabolique total est ainsi décrété proportionnel au nombre total de feuilles ; 2- la résistance à la casse des branches étant limitante, on peut en déduire l’allure du rapport entre le rayon des branches et leur longueur (c’est l’un ou l’autre cas : branche longue et étroite ou courte et épaisse, d’où deux types extrêmes de port moyen que Rashevsky dessine) ; 3- le flux total de métabolites est limité par le rayon du tronc et par ses propriétés de diffusion dont la densité ; 4- enfin, chaque branche reçoit en moyenne une fraction du flux métabolique correspondant au flux du tronc divisé par le nombre total de branches. Ainsi, sans nullement expliciter la source de ces relations algébriques, il relie tour à tour et les uns aux autres la masse d’un arbre, la longueur et le rayon de son tronc, la longueur et le rayon de ses branches du premier ordre (les autres ordres de branchaison sont négligés), le nombre total de branches, la densité moyenne du bois de l’arbre et la valeur de son métabolisme moyen. Il prévient que ces différentes équations aux dimensions donnent seulement des allures de comportement : il s’agit uniquement « d’une illustration de la méthode » et cela ne doit « pas nécessairement soutenir un quelconque rapport avec des cas réels » 335 . Cependant, pour finir, il propose une relation plus précise, bien que déterminée « grossièrement » 336 entre le flux métabolique dans le tronc de l’arbre et la section de ce tronc. Sans le justifier là non plus, il juge que ce flux doit être grossièrement proportionnel 337 à cette section, donc au carré du rayon. Il reprend en fait l’observation que Léonard de Vinci avait déjà rapportée dans ses carnets sur les sections des branches.

Notes
332.

lever-propelled metabolising systems”, [Rashevsky, N., 1938, 1948], p. 572. L’auteur souligne toute l’expression.

333.

“More generally we may postulate that the shape of any organism is determined by the requirements of performing certain mechanical and physiological functions”, [Rashevsky, N., 1938, 1948], pp. 572-573. C’est l’auteur qui souligne.

334.

[Rashevsky, N., 1938, 1948], pp. 575-579.

335.

“The following is intended only as an illustration of the method and does not necessarily bear any relation to real cases”, [Rashevsky, N., 1938, 1948], p. 576.

336.

“roughly”, [Rashevsky, N., 1938, 1948], p. 577.

337.

Nous indiquons ce résultat plus précis puisqu’il aura par la suite une histoire à travers les écrits de biométriciens comme Jean-Marie Legay.