Chapitre 9 - La simulation conçue comme computation spatialisée : répliquer pour calculer

Du point de vue de la représentation formalisée de la morphogenèse, il en est tout autrement du travail du mathématicien Stanislaw Ulam (1909-1984). Ayant été un des premiers, avec von Neumann (1903-1957), à se servir du calculateur numérique ENIAC, et cela au départ dans une problématique de calcul numérique en physique nucléaire, Ulam a été celui qui a véritablement infléchi l’usage de l’ordinateur, d’abord du calcul vers la simulation numérique, avec la méthode de Monte-Carlo, puis de la simulation numérique vers la simulation concrètement représentative et spatialisée. En ce sens, il a été le premier à vouloir que l’ordinateur ne rende pas seulement possible la réplication du réel par simulation du hasard, mais qu’il rende aussi et surtout possible la réplication des phénomènes dans leur spatialité, dans leur hétérogénéité spatiale à première vue irréductible aux équations analytiques.

C’est en quoi on peut dire qu’il est également à l’origine des « automates cellulaires ». La genèse de cette technique de formalisation et de simulation sur ordinateur a déjà été racontée par ailleurs, mais soit dans une perspective d’une histoire de la « physique du calcul » 505 , soit essentiellement pour elle-même et dans une perspective de réflexion d’épistémologie générale sur la théorie que cette notion appelle 506 , ou sur la formalisation nouvelle et transdisciplinaire qu’elle suggère 507 . La fonction que cette formalisation a pu avoir dans la représentation par ordinateur de la morphogenèse biologique et de sa mise en place spatiale n’a donc été qu’incidemment étudiée. Or, c’est elle sur laquelle nous souhaitons revenir ici, fidèle à notre but de comprendre le rôle à la fois technique et conceptuel qu’a pu jouer l’émergence du calculateur numérique dans l’évolution de cette modélisation. Nous allons donc rappeler brièvement ce qui a amené von Neumann à la problématique des automates formels afin de saisir très précisément ce qui a ensuite incité Ulam à imaginer une spatialisation concrète du réseau d’automates. Car, comme nous le verrons, c’est bien un glissement progressif dans la représentation et dans l’interprétation de ce réseau d’automates qui a finalement mené Ulam à une analogie avec la morphogenèse biologique, mais non point une analogie immédiatement comprise comme telle et dès le début. Notre question sera donc ici la suivante : comment en est-on passé d’un problème de logique à un problème matérialisable et représentable spatialement, c’est-à-dire faisant directement représentation pour une situation biologique et non plus seulement logique ? Autrement dit, qu’est-ce qui a conduit à concrétiser et à spatialiser les représentations logiques et permis ainsi en retour une certaine logicisation des formes biologiques en même temps que leur représentation sur ordinateur ?

Notes
505.

Voir [Ramunni, G., 1989] et [Chazal, G., 1996].

506.

Voir [Mosconi, J., 1989], [Heudin, J.-C., 1994], [Goujon, P., 1994a] et [Goujon, P., 1994b].

507.

Voir [Fatès, N., 2001] et [Wolfram, S., 2002].