Simulation spatialisée et déterministe de la croissance et de la ramification

En 1962, Ulam publie donc sa première véritable simulation numérique de la branchaison explicitement conçue comme analogue à une forme biologique ramifiée. Il se réfère pour cela à des travaux heuristiques qu’il a menés à Los Alamos avec ses collègues R. G. Schrandt et J. Holladay. Ce qui est nouveau dans cet article est principalement de deux ordres. Tout d’abord Ulam insiste sur le fait qu’il va se pencher sur des phénomènes de croissance et plus seulement de multiplication. Cet article relie donc explicitement l’étude des morphologies discrètes à la simulation de la morphogenèse. Ensuite, une grande importance est donnée à la représentation spatiale et géométrique des réactions d’interactions entre particules : le triangle encore abstrait de l’article de 1961 va donc se concrétiser du fait que la transformation itérée sur un ensemble de sommets de triangles donne lieu à un ensemble de surfaces triangulaires géométriquement dessinées sur l’écran de l’ordinateur et formant réseau ou treillis 600 . Puisqu’il n’y a pas le plus souvent de théorème sur le comportement asymptotique des proportions des particules dans des réactions binaires, les propriétés des sommets des triangles, qui incarnaient comme on s’en souvient les proportions des différents types de particules, vont être étudiées dans leur comportement asymptotique à travers le comportement des surfaces : il va s’agir donc d’observer empiriquement le comportement global (vis-à-vis de la symétrie, de la densité d’occupation du plan ou de l’espace…) de la multiplication de ces triangles en fonction de règles de génération et de grille initiale variables. C’est pour cela avant tout qu’Ulam fait dessiner des triangles géométriquement concrets et figurés sur l’écran ou oscilloscope [« scope »] 601 qui est branché sur le calculateur numérique de Los Alamos. C’est là qu’Ulam achève donc son mouvement de spatialisation des formalismes et de leur traitement : par la représentation géométrique directe de triangles censés permettre l’étude de relations triangulaires, ou systèmes de réactions binaires, entre particules, il passe de la considération des sommets à celle des surfaces et donc à celle des figures et de leur croissance métrique effective. Ce faisant, il passe d’un intérêt pour la génétique des populations à un intérêt pour la morphogenèse des êtres vivants. Mais en quoi consiste cette spatialisation ultime ?

Notes
600.

Voir [Ulam, S., 1962], p. 220. Les contraintes sur les types (ou couleurs) de sommet sont explicitement déplacées par Ulam sur de simples contraintes de nature géométrique valant sur les surfaces en croissance. Ulam interprète cela comme une simplification de la question des triangles : “We return now to our discussion of growing patterns where we do not label the new elements by different colors but merely consider, as in paragraph 2, the geometry of the growing structure”, ibid., p. 220. C’est nous qui soulignons. Les triangles ont dans un premier temps été itérés sur le treillis selon les règles s’appliquant à leurs sommets, ces sommets étant chacun d’un des trois différents types. Mais la simplification consiste à considérer les seules surfaces triangulaires dans leur présence ou leur absence sur les cases du treillis et non plus leurs sommets dans leur différents types.

601.

[Ulam, S., 1962], p. 221.