Un modèle d’accrétion

Comme nous l’avons rappelé, ce n’est pas Ulam qui a inventé l’expression « automate cellulaire » mais Arthur Burks. Ulam, quant à lui, parle de sa proposition comme d’un modèle « d’accrétions successives » 602 . Nous serons mieux à même de comprendre ce qui apparente cette simulation cellulaire ou « particulaire » géométrisée aux précédentes et ce qui l’en distingue, si nous en donnons une forme simplifiée :

Un « modèle d’accrétion » est défini par :

  1. une grille où peuvent venir se positionner des cellules de formes géométriques simples,
  2. le contenu initial de la grille avec un nombre initial fini de cellules et leurs positions initiales,
  3. un ensemble de règles de naissance et de mort des cellules, règles valables sur une case quelconque, appliquées à chaque pas de temps (qui est discrétisé donc) et exprimées en fonction du voisinage immédiat de la case considérée.

À chaque top d’horloge, on fait appliquer les règles sur chaque case et la nouvelle grille devient le nouvel état initial. Ainsi on peut suivre des évolutions de phénomènes dans toute une portion d’espace simultanément. La différence essentielle entre ces automates et ceux de Turing est qu’ils s’inscrivent d’emblée dans une portion d’espace et qu’ils sont donc à même d’opérer en parallèle. Par ailleurs, cette modélisation utilise des règles de naissance cellulaire qui ne sont pas probabilistes. On comprend ici le rôle qu’a pu jouer chez Ulam le passage mathématiquement justifié aux transformations itérées et déterministes. La sensibilité au voisinage, quant à elle, vient du fait que ces triangles (ou rectangles 603 ) doivent rendre compte de collisions entre particules, donc d’évolutions en parallèle et de rencontres effectives dans l’espace géométrique. Chaque cellule est donc un automate qui obéit à ses propres règles (d’où son « auto-nomie ») en fonction des données du voisinage. Les règles déterministes y sont appliquées sur toutes les portions de l’espace accessibles et cela à chaque top d’horloge.

À la différence du modèle de Turing, ces modèles permettent donc de simuler une croissance tous azimuts avec un grand nombre d’événements simultanés et répartis dans un environnement donné. Ces automates cellulaires peuvent par ailleurs sans difficulté être traités par ordinateur. C’est bien là qu’ils sont nés. Sur l’écran de l’appareil, on peut ainsi voir des motifs évoluer au fil du temps, des formes se stabiliser ou au contraire péricliter et disparaître, et cela pourtant sans l’intervention du hasard. Ulam parle même à plusieurs reprise de « comportement chaotique » 604 . Ce qui signifie seulement chez lui qu’on ne dispose pas des moyens analytiques (formulés mathématiquement et analytiquement) permettant de prévoir la proportion ou la densité de particules lorsque le temps va vers l’infini.

Notes
602.

“successive accretions”, [Ulam, S., 1962], p. 215.

603.

Mais, en 1962, Ulam montre que le treillis rectangulaire présente moins d’intérêt car on peut trouver des théorèmes sur son comportement asymptotique et, de plus, il ne modélise pas le problème de physique nucléaire de Stein et Ulam. Ce dernier a besoin d’être exprimé sous forme de relations « triangulaires ». Dans le rapport de Los Alamos de 1967, en revanche, dans la mesure où est davantage assumé le projet d’étudier pour eux-mêmes des objets géométriques définis par des formes élémentaires simples et par des règles récursives, Ulam et Schrandt étudient essentiellement des treillis rectangulaires. Voir “On Recursively Defined Geometrical Objects and Patterns of Growth”, in [Ulam, S., 1990], pp. 379-197.

604.

[Ulam, S., 1962], p. 220.