Chapitre 10 – La simulation conçue comme génératrice de forme au hasard

Dans ce chapitre, se confirmera encore l’idée que l’application qu’a fait Turing du modèle de diffusion sur un calculateur numérique a davantage contribué à la destitution des mathématiques du continu dans les sciences mathématisées des formes qu’on ne le croit d’ordinaire. Turing projetait en effet de donner une suite à sa publication de1952, notamment en insistant sur la modélisation de la mise en place des branches, la phyllotaxie. Mais ces recherches ne furent pas publiées et elles furent interrompues par son suicide en 1954. Or, nous pouvons remarquer que peu de chercheurs reprirent les travaux de 1952 avant les années 1960. Comprendre cette discontinuité dans les recherches morphologiques, c’est probablement apercevoir que l’article de Turing donnait en fait lieu à autant d’impasses effectives que de perspectives dignes d’espoir dans la modélisation de la morphogenèse. Quelles étaient-elles ? Ce fut le premier mérite de Murray Eden de les mettre explicitement en lumière.

En terminant son article, Turing avait en fait mis le doigt sur un écueil majeur de l’approche continuiste : la complexité des calculs et en particulier la non-linéarité des équations. L’hypothèse de la modélisation par transports et réactions chimiques imposait ainsi l’écriture de lois déjà très simplifiées : il fallait supposer que les taux de réaction étaient des fonctions linéaires des concentrations des substances. Les fonctions résultats n’étaient le plus souvent pas explicitables mathématiquement. L’usage de l’ordinateur comme calculateur avait bien mis en évidence les limites du langage des mathématiques du continu. Mais Turing n’en avait pas tiré l’idée qu’on pouvait s’écarter dès le départ du formalisme continuiste. C’est à Murray Eden qu’il revint de partir nommément de la suggestion de Turing et de réévaluer cette approche continuiste et déterministe en morphogenèse en lui opposant un autre mode de modélisation où l’ordinateur devint, par là même, là aussi véritablement un simulateur. Les premières simulations numériques et stochastiques de la croissance cellulaire sont ainsi effectuées par Murray Eden entre 1957 et 1960 608 , au laboratoire Lincoln du MIT. Mais qui est Eden et dans quel contexte travaille-t-il ? Comment est-il conduit à ces simulations de croissance et de morphogenèse ?

Notes
608.

[Eden, M., 1960].