Le contexte technique du Lincoln Laboratory

Le laboratoire Lincoln a été initialement fondé en 1951 pour servir au traitement informatique des données du programme militaire SAGE 613 . Les recherches y sont donc essentiellement financées par l’armée américaine. On y retrouve l’U.S. Army (Signal Corps), l’U.S. Navy (Office of Naval Research) et l’U.S. Air Force (Office of Scientific Research, Air Research and Development Command). Mais progressivement, ces activités se sont étendues et diversifiées. À la fin des années 1950, Murray Eden peut y bénéficier ainsi d’un ordinateur hautement avancé pour l’époque 614 , le TX-2, qui avait été développé dans ce même laboratoire du MIT, principalement sur des crédits de la Navy. Mais c’est bien sa fiabilité particulière 615 qui caractérise le TX-2. Il n’innove pas considérablement sur les générations précédentes en matière d’architecture, mais sa construction a été soignée à tous les niveaux de façon à sécuriser son utilisation : cet ordinateur peut ainsi être dédié à des applications diverses allant au-delà d’une simple exploration de la technologie informatique et de ses limites. La programmation ne s’est pas complexifiée par rapport aux machines précédentes dans la mesure où la structure matérielle n’a pas été révolutionnée, contrairement aux projets concurrents de l’époque. Une utilisation « normalisée » et facilitée y devient donc possible à destination des autres secteurs de la science. Ainsi, en proposant cet instrument à diverses équipes, le laboratoire Lincoln encourage-t-il depuis déjà quelques années les recherches en biologie, biomédecine et psychologie à utiliser l’outil informatique.

Dans la même perspective de rendre le calculateur plus accessible aux profanes en électronique, le MIT, conçoit, à la même époque, le projet de faire que les utilisateurs accèdent en temps partagé à un gros calculateur commun. C’est le projet MAC (Modular Accounting Calculator). Mais de son côté, le laboratoire Lincoln se rebelle contre une telle doctrine émanant de l’administration centrale du MIT. Cette forme de sécession doctrinale est de fait facilitée par la situation géographique du laboratoire Lincoln. Situé à 15km du campus central du MIT, à Lexington, il se trouve fortement excentré. De plus son financement est largement couvert par des crédits militaires indépendants. Au début des années 1960, un des concepteurs historiques du TX-2, Wesley Clarck, continue donc à y travailler dans l’idée que le temps partagé n’est pas la seule solution pour rapprocher la machine de l’utilisateur si l’on veut qu’il ne s’en effraie plus autant qu’auparavant 616 . Pour Clarck, le fait de posséder physiquement la machine dans son laboratoire propre, de l’avoir toujours sous la main, est un facteur de poids dans l’appropriation qu’on attendait de la part des biologistes et des psychologues. Selon lui, « un calculateur ne devrait être qu’un autre morceau de l’équipement de laboratoire » 617 . Ainsi, le laboratoire Lincoln a été parmi les premiers laboratoires à essayer de développer un usage des calculateurs plus convivial et plus proche de l’utilisateur, afin que les heures de programmation ne soient pas perdues ni non plus les crédits des laboratoires 618 . Par la suite, à partir de 1962, le laboratoire concevra des miniordinateurs conviviaux et destinés à la recherche biomédicale 619 . Ce sera la conception du LINC.

Notes
613.

Semi-Automatic Ground Environment. C’est un système de surveillance mis en place aux Etats-Unis à partir de 1953 et qui contrôlait les intrusions aériennes. Voir [Rammuni, G., 1989], pp. 120-121.

614.

Voir [NIH, 2000], p. 2.

615.

Voir [Ramunni, G., 1989], p. 157.

616.

[NIH, 2000], p. 2.

617.

[NIH, 2000], p. 2.

618.

À titre indicatif, S. A. Rosenfeld rappelle qu’au début des années 1960, une heure de calcul en temps partagé sur l’IBM 7090 revenait à environ 100$ pour l’utilisateur, [NIH, 2000], p. 1.

619.

[NIH, 2000], p. 2.