Débuts lents et sporadiques, mais volontarisme des National Institute of Health

Or, le MIT, mettant cette nouvelle puissance de calcul partagé que représentait l’IBM 7094 666 à disposition de tous ses départements, mais aussi de près de 40 autres universités américaines, se livre très rapidement à des statistiques sur son usage. En 1961, un rapport publié par les Cooperating Colleges of New England 667 indique ainsi que seulement 5,6% du temps de calcul total est utilisé par les sciences biologiques. Sur ce faible pourcentage, 0,8% du temps de calcul total est consacré à la cristallographie des substances organiques, 1,4% à la psychologie, 1% à l’agriculture, 1,5% à la médecine, 0,9% aux recherches biomédicales ou biologiques. Tout le reste est consacré aux sciences physico-chimiques et aux recherches mathématiques. Comme on peut le constater, la tendance en ce début des années 1960, n’est pas du tout à l’explosion des usages de l’ordinateur dans les sciences biologiques. En biologie proprement dite, les recours au calculateur sont donc encore, on peut le supposer, très marginaux.

Un second rapport, très significatif lui aussi, est publié deux ans plus tard, en 1963, par le même regroupement d’universités autour du calculateur partagé du MIT. Il révèle cette fois-ci que seulement 4,5% du temps de calcul a été utilisé par les sciences biomédicales, dont 0,3% en médecine, 1,1% en psychologie, 1,3% en cristallographie des substances organiques, 0,2 en agriculture et 1,6 en biologie 668 . Il faut bien sûr nuancer le poids de ces chiffres en rappelant que, sur cette courte période, la physico-chimie a encore considérablement développé ses propres usages de l’ordinateur et que la biologie semble quand même avoir très timidement imposé sa présence. Mais le bilan est assez mitigé pour ceux qui voient en ces nouvelles techniques de calcul une chance pour la biomédecine.

Ainsi les National Institutes of Health s’inquiètent suffisamment de cette situation pour qu’un certain nombre de travaux de synthèse, jouant en même temps le rôle délibéré d’une promotion, paraissent sur les différents usages d’ores et déjà possibles et souhaitables des calculateurs dans les sciences biomédicales 669 . C’est la raison pour laquelle nous disposons aujourd’hui de travaux de synthèse qui brossent le tableau des différents usages du calculateur numérique dans la biologie, principalement américaine, au milieu des années 1960.

Notes
666.

La série des IBM 7090 était une version entièrement transistorisée de l’IBM 709. Les IBM 7090 valaient entre 2 à 3 millions de dollar et elles pouvaient effectuer 210000 opérations à la seconde [Boucher, H., 1960], p. 405.

667.

Rapport cité par [Ledley, R. S., 1965], pp. 250-251.

668.

Rapport cité en note par [Ledley, R. S., 1965], p. 251.

669.

Cette activité d’information et de promotion est perceptible à travers les publications de Robert S. Ledley (de la National Biomedical Research Foundation)comme de celles de David Garfinkel du début des années 1960. L’un et l’autre publient leurs résultats dans des revues scientifiques couvrant un large spectre de lecteurs comme Science et Nature. Elle est manifeste dans une publication collective et monumentale (en 3 volumes de 1213 pages en tout) intitulée Computers in Biomedical Sciences [Stacy, R. W. and Waxman, B. D., 1965, 1969]. Cette publication est en effet une synthèse des recherches en biomedical computing directement commanditée par les National Institutes of Health.Un de ses directeurs, James A. Shannon, s’y exprime ainsi dans l’avant-propos : “Much of the work reported in these volumes was made possible by virtue of NIH support, tendered on the expectation that this powerful and new technology would not only facilitate the solution of problems as currently formulated, but also, like the telescope, would permit the exploration of phenomena otherwise unapproachable”, ibid., Tome I, p. xi. Ralph Stacy et Bruce Waxman insistent dans leur préface : “Within the last few years computers have had an increasing influence on biomedical research. Despite a growing awareness of the utility of the computer as a research tool, many life scientists are still uniformed regarding the full range of application and great flexibility of this technology”, [Stacy, R. W. and Waxman, B. D., 1965, 1969], p. 1. Il s’agit donc bien d’une opération de promotion.