« Diagramme de blocs abstrait » et « forme canonique » du système équivalent

Après ces nécessaires rappels de la théorie mathématique, Rosen peut enfin passer à l’adaptation de la théorie mathématique à l’objet qui le préoccupe. Pour ce faire, il suffit de partir d’une catégorie quelconque et de remarquer que l’on peut construire à partir d’elle un graphe orienté, ou ce qu’il appelle un « diagramme de blocs abstrait » (« abstract block diagram » 867 ), en y choisissant certains objets comme certaines des applications de ses objets les uns sur les autres. À chaque objet choisi correspond un sommet et à chaque application correspond une arête orientée du graphe. Deux objets seront connectés dans le diagramme s’il existe une application choisie qui inclut l’objet de départ dans son domaine et l’objet d’arrivée dans sa portée.

Dès lors Rosen insiste sur le fait que chaque composant du système est désormais représenté par une collection d’applications dans le diagramme et dont toutes possèdent un domaine commun 868 . Puis il met l’accent sur l’idée que l’on peut considérer n’avoir affaire ici qu’à des ensembles avec toute la souplesse que l’approche de la théorie des ensembles peut donner. Ce faisant, Rosen répond bien aux critiques de son maître Rashevsky et en opérant un peu de la même façon que lui : il a montré que son approche par les catégories pouvait, au moins en théorie, englober l’approche topologique ensembliste des objets biologiques que préconise par ailleurs Rashevsky. De plus, on ne peut plus l’accuser de découper le corps vivant en parties physiques amorphes au détriment du caractère relationnel et fonctionnel de l’organisme puisque le terme de « composant » est remplacé par celui d’« objet » d’une catégorie, et on peut montrer par là que cet « objet » est conceptuellement équivalent à un « ensemble » pris dans la catégorie générale de la théorie des ensembles. Rosen s’attarde sur ce qu’il appelle cet effet d’inversion dû au passage aux catégories : les sommets sont devenus des collections d’applications, les flèches sont devenues les objets de la catégorie. Il montre ensuite aisément comment cette nouvelle représentation supprime les difficultés que rencontrait le diagramme de blocs (unicité des entrées et des sorties des composants, existence du composant environnement) 869 .

Par la suite, Rosen tâche d’employer la formulation en catégories pour représenter la transformation d’un système biologique au cours du temps. Mais avant cela, il s’agit de se donner les moyens de simplifier au maximum la représentation sous forme de catégorie d’un diagramme de blocs abstrait car pour chaque diagramme, il existe a priori un grand nombre de catégories qui pourraient lui convenir. Mais ces catégories possèdent en général un nombre d’applications et d’objets souvent inutilement élevé. On peut ainsi mettre en évidence l’existence d’une forme canonique (ou minimale) de cette représentation catégoriale au moyen d’un procédé de factorisation 870 . On dispose alors d’une représentation qui est au plus près de ce que l’on sait du système. Comme de plus, dans ce formalisme, les entrées et sorties sont traitées une à une comme des « objets » de la catégorie, il est théoriquement possible d’y faire intervenir explicitement les décalages temporels tels qu’ils existent dans les systèmes biologiques réels. Mais Rosen ne parvient à prouver aucun résultat général en ce domaine : on peut simplement montrer que lorsque certains composants du système présentent des sorties défectueuses, il est possible que le système se « contracte » sur un sous-système et que des effets d’empoisonnement interviendront parfois dans ces conditions pour un autre composant 871 . Le résultat sur ce point est donc décevant car l’apport théorique est maigre au regard de la méthode de formalisation antérieure. Enfin, Rosen utilise la notion de foncteur (à laquelle il est obligé d’ajouter des propriétés supplémentaires) pour se donner un outil de comparaison entre organismes tel que celui que Rashevsky s’était donné avec le principe de l’épimorphisme. Il arrive ainsi à montrer que l’image par un foncteur fidèle d’un « diagramme de blocs abstrait » valant pour un système biologique de départ est un autre « diagramme de blocs abstrait » pouvant valoir pour un autre organisme dit équivalent au premier. Mais Rosen avoue ne pas avoir les moyens de montrer si l’équivalence biologique (fonctionnelle) entre organismes est directement traduisible en termes d’équivalence catégoriale mathématique via un foncteur de ce type. Dit autrement : il ne sait pas si le diagramme des équivalences biologiques et mathématiques commute. C’est selon lui un problème très difficile. Le gain sur ce point est donc là encore très mince.

Notes
867.

[Rosen, R., 1958b], p. 324.

868.

[Rosen, R., 1958b], p. 325.

869.

[Rosen, R., 1958b], p. 327.

870.

[Rosen, R., 1958b], pp. 328-332.

871.

[Rosen, R., 1958b], p. 333.